Deux mois avant la sortie d’un quatrième album, “Frog in Boiling Water”, les New-Yorkais se sont produits au cœur de Paris, dimanche 10 mars, pour une unique date tricolore. Une soirée hypnotique qui signe le retour du groupe sur les scènes.
Un ciel bleu mâtiné de nuages opalins et la logorrhée d’un type en chemise. C’est avec cette image, projetée face à un Trianon plein à craquer, que le concert de DIIV s’est amorcé. “Mesdames et messieurs, bienvenue à une soirée extraordinaire qui promet de transcender l’ordinaire et de vous catapulter dans un royaume inexploré d’émerveillements inimaginables. Ce soir n’est pas qu’un concert, c’est un voyage transformateur, un moment charnière de votre vie où tout change”, prononce l’homme dans la vidéo qui défile, tandis que la scène comme le public attendent encore les quatre New-Yorkais.
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Messe de développement personnel ?
Dans la foule, regards quasi interloqués et trépignements impatients çà et là. Si le moment semble un brin loufoque, il insuffle pourtant l’idée portée par DIIV dans son album à paraître en mai, Frog in Boiling Water : celle d’une critique subtile du capitalisme et de son discours crapuleux.
“Chacun de vous, telle une chenille ignorant son destin de papillon, est au bord d’une incroyable métamorphose. La musique que vous entendrez ce soir n’est pas seulement une mélodie à vos oreilles, mais une clé pour libérer le potentiel le plus profond qui est en vous”, somme ensuite la voix du précepteur, entremêlée de vagues sonores graves et inquiétantes. Gig ou messe de développement personnel au service du néo-libéralisme ? Une question heureusement vite balayée. L’image du type se dissipe ensuite, et, ni une ni deux, le quatuor se déploie sur la scène au son de la clameur générale.
Retrouvailles émues
“Welcome back to France !”, s’époumone un gaillard du premier rang, avant même que le leader du groupe, Zachary Cole Smith, n’ait le temps de saluer la foule. D’une voix timide, il laisse échapper un succinct “Hello, we’re DIIV”, avant d’ouvrir le set avec Like Before You Were Born, succédé d’Under the Sun. Des mélodies connues de tous·tes et empreintes de ce qu’il faut de nostalgie, si l’on en croit les mines réjouies et les corps qui ondulaient à peine les premières notes entendues.
Une joie confortée par le parfum de retrouvailles humé du début jusqu’à la fin de la soirée. Il n’y avait qu’à entendre les “We love you !” ou les acclamations suivant la moindre parole du leader pour comprendre que se jouait un moment important, aussi bien sur la scène que devant elle. La sensation d’assister à un dialogue musical pétri d’émotions, teinté du devoir tacite de tisser une atmosphère bienveillante, chaleureuse, rassurante. Nul doute que tous·tes celles et ceux qui étaient là dans le public avaient bien en tête les frasques narcotiques du chanteur, sa lutte passée (et gagnée) contre les addictions, la pression que représente le fait de se repointer après des épisodes plus ou moins glorieux, aux yeux de tous·tes. Et nul doute non plus que celles et ceux qui étaient là l’attendaient depuis belle lurette, le retour de DIIV.
Mise en garde implicite
Qui dit retour, dit nouveauté(s). Les New-Yorkais en ont justement performé une poignée, l’annonçant à demi-mot avant de se lancer. À commencer par Soul-net, morceau introduit d’une vidéo analogue à celle de l’ouverture. “Nous pensons que la résistance n’est pas la solution, c’est une réponse pathologique […] Découvrez comment Soul-net peut vous conduire au bien-être mental et à la stabilité sociétale”, y prononce une voix féminine faussement amicale, référence à la théorie-concept farfelue du groupe – imagée sur un site-internet qui accompagnait la sortie du titre en question (https://www.soul-net.co/). Voilà qui nous ramène à la mise en garde implicite instillée dès le début du set : celle de ne pas céder au laïus capitaliste. Car sans doute les musiciens savent-ils très bien que les maux les plus profonds y trouvent précisément leur source.
Soul-net laissera ensuite la place à un duo de morceaux encore inconnus aux oreilles du public – qui étaient, dès lors, d’autant plus attentives : l’un au rythme lancinant et aux guitares aériennes, l’autre au tempo plus pressé et aux accents distordus. Il y eut là comme une sorte de fièvre ascendante, en témoigne ce sol qui vibrait sous nos pieds, la faute à tous ces corps en mouvement.
Ovation
Avant que ne retentisse une série de titres extraits du somptueux Deceiver, troisième album du groupe sorti en 2019, l’inquiétante voix sévit de nouveau : “Est-ce que votre vie manque de but ? Vous sentez-vous fatigué ?”, a-t-elle demandé, presque perdue dans un halo sonore assourdissant. Se sont ensuite enchaînés Between Tides et son chant éthéré, l’enivrant Blakenship puis Acheron, chansons scénarisées d’épaisses lumières tantôt laiteuses, tantôt rutilantes.
“C’était amusant, mais comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin…”, glisse doucement Zachary Cole Smith, presque encombré par sa grande paire de lunettes. Si la foule objecte à l’unisson, le concert s’achève pourtant par Doused, morceau dont la rythmique dansante n’a laissé personne inerte. Une ovation unanime plus tard, DIIV quittait la scène sans arrogance aucune, probablement porté par le sentiment du travail bien fait. Celui d’avoir accru notre lucidité.
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