La 96e cérémonie des Oscars se déroulera à Hollywood le 10 mars prochain. Nos yeux et tous nos espoirs sont tournés vers Justine Triet, donc la trajectoire a été jusqu’ici plus qu’exceptionnelle. Quelle place aura la réalisatrice française au cœur de la bataille entre les deux blockbusters de l’été ? Réponse dimanche.
On l’a dit, la dernière cérémonie des César suscitait des attentes très fortes en tant que tribune de l’ample mouvement de dénonciation des violences et des abus à l’œuvre dans l’industrie du cinéma. Ces attentes ont été à la fois prises en compte – l’intervention de Judith Godrèche, l’adhésion très forte suscitée par son discours – et en partie déçues – les très faibles rebonds sur cette prise de parole durant la suite de la cérémonie.
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Il n’y a aucune attente de cette ampleur concernant la prochaine cérémonie des Oscars. La seule polémique vraiment notable soulevée par les nominations concerne l’absence de Greta Gerwig dans la catégorie réalisation (elle figure néanmoins parmi les nommé·es de la catégorie scénario) et celle de Margot Robbie dans la catégorie actrice (mais elle est nommée en tant que coproductrice dans celle de meilleur film). Deux absences curieuses en effet si l’on considère que Barbie cumule par ailleurs 8 nominations. Il est tout de même étrange de plébisciter le film comme l’un des meilleurs de l’année mais de ne pas en créditer pleinement les deux principales responsables.
Barbie/Oppenheimer
Cette relative sous-représentation de Barbie dans des catégories stratégiques est possiblement un premier indice de l’arbitrage que va opérer l’Académie des Oscars dans le grand match surmédiatisé qui oppose depuis presque un an les mastodontes Barbie/Oppenheimer. L’affrontement savamment orchestré s’est avéré payant pour les deux parties, tant d’un point de vue symbolique (accueil critique, cote d’estime dans le public, sur les réseaux pour les deux films) que financier (les deux films ont plus que rempli leurs objectifs).
Sur le plan purement commercial, c’est malgré tout Barbie qui l’emporte assez haut la main (639 millions de dollars sur le territoire nord-américain et une 1re place au B.O. contre 329 millions et une 5e place our Oppenheimer – ce qui est déjà énorme pour un film aussi long, touffu, adulte et grave). Sur le plan symbolique en revanche, l’interminable parcours de prix remis à cadence presque hebdomadaire depuis la mi-automne – et dont les Golden Globes et les BAFTA anglais sont deux des principaux climax pré-Oscars – a déjà tranché. Le meilleur film de l’année est selon tous les cénacles de votants Oppenheimer. On voit mal l’Académie des Oscars, assez peu friande des coups de force paradoxaux, arbitrer autrement.
Justine Triet aux Oscars
Pour nous, l’enjeu le plus fort de la cérémonie reste la possible victoire dans cinq catégories d’Anatomie d’une chute. L’aberrante et très contre-productive décision de faire représenter la France par La Passion de Dodin Bouffant dans la catégorie film international prive le film de Justine Triet d’un Oscar dans une catégorie où il a souvent gagné dans les cérémonies de chauffe de l’automne. Pour le reste, tout est ouvert. Si l’Oscar du meilleur film paraît tout de même peu probable (Oppenheimer reste l’hyper-favori) et si celui de la meilleure actrice est menacé par une probable seconde victoire d’Emma Stone pour Pauvres Créatures (sept ans après La La Land), le film conserve des chances de statuette en meilleur montage et surtout meilleur scénario, deux domaines où le film a déjà remporté des victoires sur le sol américain. Enfin, l’Oscar de la meilleure réalisation ne paraît pas non plus hors d’atteinte pour Justine Triet. Elle est la seule réalisatrice nommée face à quatre réalisateurs et cette dissymétrie pourrait justement mobiliser une forme d’engagement en sa faveur. Sans compter qu’à nos yeux, Anatomie d’une chute est une réussite de mise en scène totale.
Qu’un ou plusieurs Oscars clôturent en beauté l’extraordinaire marche triomphale du film à l’échelle internationale serait non seulement une grande joie, mais aussi à plusieurs titres une victoire politique. À la fois la validation d’un système d’aide et de redistribution dont le succès foudroyant du film accrédite l’état de marche et à propos duquel la cinéaste avait eu raison de défendre impérieusement la protection lors de son discours cannois. La reconnaissance à l’international d’une artiste qui devrait rendre fière la classe politique de son pays, et qui pourtant a été taclée avec une virulence assez inédite après l’expression d’une opinion politique. Et aussi la mise en lumière de l’extraordinaire vitalité d’un cinéma français porté par des réalisatrices dans un moment historique où il n’est pas d’enjeu plus crucial que la remise en cause de la domination masculine.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 6 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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