Photographe mais aussi réalisatrice et mannequin à ses heures perdues, l’Anglaise façonne avec audace un univers fait de bizarrerie, subversion et couleurs vintage.
Celle qui met en images l’incartade country de Beyoncé, c’est elle. Au début du mois de février – en attendant la sortie de l’album intégral le 29 mars –, quelques bribes du clip du titre Texas Hold’Em étaient dévoilées. Moteur vrombissant, paysages texans et chapeaux de cowboy… Une esthétique signée d’une certaine Nadia Lee Cohen, déjà à l’origine des visuels de son précédent disque Renaissance – dont seul le teaser du morceau I’m That Girl avait finalement été publié, laissant une horde de fans avides d’en découvrir davantage.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette fois-ci, la photographe, artiste et réalisatrice américaine s’allie de nouveau à Beyoncé pour parcourir les routes du Far West, les enveloppant d’un vernis vintage, émaillé de références cinématographiques et d’un humour délicieusement absurde.
Dans l’ombre d’artistes de renom
Voilà quelques années que Nadia Lee Cohen se fait un nom dans l’industrie musicale. D’abord grâce à ses clips : depuis 2015, une poignée d’artistes l’invite à mettre en images leurs morceaux – Chløë Black, Black Honey, K.I.D, Kali Uchis, The Garden, A$AP Rocky… Des collaborations grâce auxquelles l’Anglaise de 31 ans a pu imposer petit à petit son regard singulier, empreint d’un certain goût pour le bizarre et l’excentricité, comme quand des policiers grimés en cochons affrontant une bande de malfrats dans la vidéo de Babushka Boi d’A$AP Rocky, ou une présentatrice météo au sourire difforme agite avec allégresse une paire de fesses dénudées au son de Gilligan, titre de D.R.A.M. Des scènes incongrues qui dérangent autant qu’elles captivent.
Initialement photographe, Nadia Lee Cohen ne se limite pas aux clips. En 2018, elle immortalisait Katy Perry lors d’un shooting de Noël barré à souhait, mettant en scène la chanteuse au coin du feu, lunettes un brin ringardes sur le nez et tablier noué à la taille, visiblement ivre auprès de ses convives. Le tout dans un esprit très vintage, de l’allure des personnages jusqu’aux couleurs des clichés en question.
Une esthétique qu’elle a déclinée pour Kim Kardashian et sa marque Skims, à l’occasion d’une campagne publicitaire intitulée “My early Valentine”, en janvier dernier. Dans cette série de photos, on voit Lana Del Rey prendre la pose, tout de lingerie vêtue, dans une immense boîte capitonnée (à l’acmé du kitsch, mais passons), ou bien emmaillotée dans une couverture rouge carmin auprès de ses chats.
Ce n’est pas la première fois que la musicienne new-yorkaise posait devant l’objectif de Nadia Lee Cohen : cette dernière l’avait déjà immortalisée un an auparavant en mariée subversive – robe courte, clope au bec et motards de part et d’autre – pour la Une d’Interview Magazine, en février 2023.
Pléthore d’influences, de l’Américain moyen jusqu’au cinéma
Si son univers regorge de références artistiques, Nadia Lee Cohen s’inspire d’abord des inconnu·es qu’elle rencontre au quotidien, à Los Angeles où elle s’est installée, quittant sa campagne anglaise. “Je m’inspire des gens que je croise, que ce soit au supermarché, au driving ou dans les embouteillages. J’aime révéler ce qu’il y a d’étrange et mettre en valeur les défauts ou quelque chose d’inattendu”, racontait-elle au Harper’s Bazaar. Une imagination qu’elle doit d’abord, dit-elle, à une “enfance heureuse et très libre”, passée dans une ferme de l’Essex… qu’elle désertait volontiers.
Nul doute que son amour pour le septième art a également nourri sa créativité : David Lynch, John Waters, Quentin Tarantino… Son film favori ? Shining de Stanley Kubrick, réalisation où “tout est minutieusement étudié” et où les plans “possèdent une dimension psychologique remarquable”. Une imagerie à laquelle se greffent les airs des musiques qu’elle écoute : chansons françaises, jazz, bossa-nova… de Serge Gainsbourg à Stan Getz et João Gilberto. Un mélange résolument fructueux.
Ode à la nuance et au fantasque
Avec son art, Nadia Lee Cohen raconte les autres autant qu’elle se raconte elle-même. En 2020, elle a signé Women, son premier livre photo, faisant le portrait de cent femmes de tous profils, capturées dans des situations plus loufoques les unes que les autres, le plus souvent débraillées et poitrines apparentes. Des représentations nuancées à l’audace bienvenue qui ont récolté un franc succès, en témoigne la rupture de stock de longue date du livre, malgré ses cinq rééditions.
L’année suivante, l’Anglaise publiait Hello, My Name Is, alliage d’une trentaine d’auto-portraits. Elle y prend la pose, grimée en une trentaine de personnages – féminins comme masculins – inspirés de cartes d’identité piochées çà et là. Des photographies qui s’accompagnent d’une nature morte d’objets collectés, en rapport avec la personnalité supposée de l’individu en question. Ici encore, succès immédiat : tous les exemplaires du livre sont écoulés le jour de sa sortie.
Subversion féministe
À l’heure où les diktats de beauté sévissent encore, il y a quelque chose de définitivement jubilatoire dans le travail artistique de Nadia Lee Cohen. Car elle dépiaute et triture volontiers le protocole auquel les femmes seraient censées se plier, pour mieux le balayer. Voilà quelqu’un qui ne fait que peu de cas des incitations à rester dociles et sans aspérités.
“J’aime créer des images qui sont légèrement inconfortables à regarder […] Je ne veux pas préciser quels sentiments ou émotions le spectateur devrait ressentir à travers mes images, mais j’ai l’intention qu’elles libèrent et quelque peu repoussent une industrie qui favorise un certain type de regard”, précisait-elle à Vogue en 2017. Manière de formuler, en substance, l’ambition de son art : oublier les convenances et faire bouger les lignes. Un pari franchement réussi.
{"type":"Banniere-Basse"}