Depuis la prise de parole de Judith Godrèche, le cinéma français vit un moment charnière, entre remise en question profonde et succès dithyrambique à travers le monde.
Le discours de Judith Godrèche, comme on l’écrivait le week-end dernier, était tonitruant de force et de beauté. Sa puissance d’interpellation était encore renforcée par la douceur avec laquelle il était proféré. Chaque mot y semblait pensé et pesé pour s’imprimer profondément et initier une réflexion au long cours. On a dit aussi à quel point la cérémonie, après avoir aménagé cet espace de parole, a peiné à rebondir dessus.
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Presque aucune intervention postérieure n’y a fait mention (à l’issue de la cérémonie toutefois, plusieurs personnalités du cinéma dans la salle se sont exprimées sur les réseaux sociaux en soutien à Judith Godrèche). Et alors qu’à l’extérieur de l’Olympia, un rassemblement et des actions se tenaient pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles, ce grondement peinait à se faire entendre en dehors du moment qui lui avait été imparti.
Quelque chose se transforme en profondeur dans le cinéma français.
Dans le même temps, Anatomie d’une chute poursuivait son chemin triomphal et obtenait six récompenses dont, pour seulement la deuxième fois dans l’histoire des César (24 ans après Tonie Marshall pour Vénus Beauté (Institut)), celui de la meilleure réalisation pour Justine Triet. 24 heures plus tard, l’Ours d’or du festival de Berlin était décerné à Dahomey, le beau film de Mati Diop sur la restitution par la France de 26 objets d’art dérobés au Bénin. Quelque chose se transforme en profondeur dans le cinéma français. Cette transformation avance sur certains points très vite (la fulgurante ascension d’une génération de cinéastes qui triomphe sur la scène internationale et rafle tous les prix : Julia Ducournau, Alice Diop, Audrey Diwan, Justine Triet, Mati Diop) et sur d’autres de façon plus accidentée (le progressif dévoilement de pratiques délictueuses, la remise en cause d’une dissymétrie du pouvoir, la mise en place de protocoles de protection contre les abus).
Si la figure de Judith Godrèche a une telle force d’incarnation, c’est aussi qu’elle joint les deux : sa parole avant de s’exprimer dans de nombreuses tribunes a d’abord été celle d’une autrice et a donné lieu à une œuvre extrêmement frappante (la série Icon of French Cinema). En tout cas, ce serait un aveuglement de penser que cette synchronie (l’éclatante réussite artistique d’un cinéma d’autrices, la réforme du fonctionnement de l’industrie du cinéma) serait incidente. Les deux termes résultent d’une même dynamique vertueuse et d’un même cheminement vers, dans tous les sens du terme, le meilleur.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 28 février. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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