Prévenir les rides dès l’adolescence ou chez les bébés, imaginer qu’une génération entière est frappée d’une vieillesse accélérée, s’exposer volontairement aux critiques…. Sur TikTok, la peur de vieillir devient trendy. Florilège.
Sur la planète TikTok, l’obsession de la vieillesse semble se répandre comme une trainée de poudre : guerre de générations, filtres vieillissant, critiques sur le physique, idéalisation des peaux lisses… Dans les tendances de l’application, la peur de vieillir revient en effet sans cesse, comme une psychose indéboulonnable que les utilisateurs tournent parfois en dérision tout en faisant le maximum pour l’éviter.
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Gen Z vs Millenials
Il y a peu est née sur le réseau social chinois une théorie farfelue devenue virale : selon des utilisateurs, la Gen Z (appellation qui désigne la génération née entre 1995 et 2000) vieillirait bien plus rapidement que les Millenials (nés entre 1980 et 1995). C’est ce qu’explique Jordan Howlett dans un TikTok visionné plus de 20 millions de fois, où il justifie cet écart par le stress qui pèse sur sa génération.
À force de relais, l’idée a fini par devenir une légende comme une autre chez les usagers. Sous une vidéo de la TikTokeuse Taylor Donoghue, qui raconte être vexée qu’une personne ait cru qu’elle avait plus de 30 ans alors qu’elle n’en a que 23 (“je creuse ma tombe”, commente-t-elle), les commentaires disent la même chose : “J’ai besoin que la science m’explique pourquoi la Gen Z vieillit plus vite que les millenials”, “La Gen Z vieillit vraiment comme du lait”, “Je ne comprend pas ce qui arrive à la Gen Z”.…
Un dermatologue suivi par plus de 18 millions de followers s’est récemment emparé de la question pour répondre à la frénésie générale. Selon lui, la Gen Z serait une génération particulièrement exposée à des conditions de vie délétères : “Ils vapotent plus et travaillent plus de chez eux, ce qui contribue à un mode de vie solitaire et sédentaire mauvais pour la peau”, explique t-il. Une autre dermato ajoute : “La Gen Z a grandi dans une ère où les réseaux sociaux ont poussé plus que jamais le marché de la beauté et du rajeunissement, ils se sont tartiné le visage de crèmes à un trop jeune âge !” Stress, inflammation de la peau, mode de vie propice à la solitude….. Toutes les raisons sont bonnes pour justifier la peur de vieillir d’une génération entière.
L’avis du public
L’une des tendances du moment consiste en de très courtes vidéos où vous demandez à vos followers quel âge ils pensent que vous avez. C’est ce qu’a fait Cherri Gervais, utilisatrice de 34 ans aux cheveux gris qui a voulu savoir quel âge on lui donnait, sans s’attendre à recevoir près de 3 000 commentaires dont une partie la critiquait sur son physique : “On m’a dit de me teindre les cheveux, de mettre des faux-cils, de faire quelque chose à mes sourcils, et que je ressemblais à une maman d’âge moyen”, explique-t-elle au New York Times.
De la simple curiosité inoffensive de connaître l’image que l’on renvoie aux autres apparaît alors une idée sur laquelle les réseaux sociaux font une fixette : la vieillesse s’évite et se répare, notamment à coup de cosmétiques, et ce dès le plus jeune âge.
Les serum moms
C’est peut-être la trend qui fait le plus froid dans le dos. Les serum moms (ou “mamans sérums”), voilà le surnom que l’on donne à ces mères obsédées par l’état de la peau de leurs très jeunes enfants. Il suffit de faire un tour sur le #babyfacial pour se rendre compte de l’absurdité de la chose : des bébés d’à peine 1 an se font malaxer le visage avec toutes sortes d’instruments, crèmes et autres produits censés rendre leurs peaux plus lisses. Sous leurs vidéos, les mères en question plaident le bien-être et la relaxation de leurs enfants, plutôt que leur mise en beauté. Ou l’art de la pirouette lexicale.
Un mouvement qui grandit jusqu’à devenir un véritable marché économique. Fin 2023, Dior ajoutait à sa ligne Baby Dior une collection de produits de beauté pour bébés, allant d’un lait hydratant à 105€ à une eau de senteur à 255€. La marque Lalo, spécialisée dans les produits pour bébés, vend quant à elle son kit rassemblant huiles de massage, crèmes et shampoings à 105$. Drunk Elephant, autre firme très présente sur le hashtag et distribuée en France depuis peu via Sephora, vend ses “facial lissants” pour enfants à 82€. Pour éviter que son bébé ait des rides (!), il faut décidément avoir les moyens…
Pour les pré-ados aussi, le rituel de la skincare s’installe à mesure que la peur de vieillir se fait plus prégnante. La TikTokeuse américaine Carson Bradley, suivie par 36 000 followers, partage ses conseils make up et ses routines de soin de la peau. Tous les matins, pour “ralentir le processus de vieillesse”, elle explique avaler deux pilules de vinaigre de cidre de pomme, appliquer du rétinol, faire un masque facial de dix minutes et boire du thé vert avec une cuillère de miel. Le soir ? Elle applique quotidiennement sur son visage pas moins de douze produits : nettoyant, lait hydratant, plusieurs sérums à base d’acide hyaluronique ou d’escargot, des crèmes. Une organisation gargantuesque pour une jeune fille de….14 ans seulement. Ou la quête moderne d’une fontaine de jouvence contenue dans des tubes en plastique.
Regard vers le futur
Une fonctionnalité récente a fini d’enfoncer le clou en rendant encore plus évidente cette crainte de la vieillesse sur TikTok : un filtre vieillissant qui, via une IA, transforme votre jeune visage pour l’affubler de rides, cheveux gris et peau tombante. Une sorte de vision du futur censée préfigurer ce à quoi on ressemblera dans 40 ans. La star des réseaux sociaux Kylie Jenner, icône de beauté pour les jeunes filles et propriétaire de sa propre marque de maquillage, s’est laissée prendre au jeu : “J’aime pas ça, j’aime pas ça du tout non non”, dit-elle en secouant la tête devant son reflet vieilli et couvert de rides.
Sur le réseau social, plus de 9 millions d’utilisateurs ont tenté l’expérience et semblent avoir eu une vision d’horreur face à leurs visages transformés. Une façon de trivialiser le processus de vieillesse, qui reflète cependant la hantise obsessionnelle des jeunes pour ce qui les attend. Amina Mire, une professeur de l’Université de Carleton à Ottawa, explique qu’une telle IA permet à la Gen Z de projeter ses canons de beauté actuels sur leurs futures apparences : “L’industrie de la beauté s’attaque aux personnes qui croient en l’innovation technologique, et elle peut leur montrer leur avenir en leur disant ‘maintenant, vous pouvez faire quelque chose’”, déclare t-elle à USA Today.
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