Canal permettant de faire passer des messages sociaux, terrain où se mêlent rêve et émotion, le podium est aussi un outil essentiel de business. Alors que débute la semaine de la mode parisienne qui se tiendra jusqu’au 5 mars, des jeunes créateur·rices nous expliquent pourquoi l’exposition qu’offre la fashion week reste centrale à leur survie.
Face aux crises écologiques, aux guerres et aux violences sexuelles, le faste apparent de la fashion week, avec son cortège de célébrités, d’influenceur·euses et de cool kids coiffé·es de lunettes de soleil H24, peut sembler démesuré. Pourtant, derrière cette façade étincelante, se cachent de nombreuses dimensions. Les jeunes créateur·ices indépendant·es bousculent les codes de genre et de classe, proposant des expressions identitaires nouvelles et normalisant la différence.
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Si les sommes engagées pour payer les défilés sont loin d’être négligeables et accessibles à tous·tes, ces événements représentent également un enjeu majeur pour la commercialisation des collections.
“Nous n’avons plus le temps de ne pas être radicaux” – Jeanne Friot
C’est notamment la conviction de Jeanne Friot, 28 ans à la tête de sa marque éponyme, non genré et écoresponsable lancée en 2020. Malgré les défis organisationnels et financiers, elle reste déterminée à maintenir une position radicale dans le but de changer les choses – que ce soit en termes de représentation mais aussi quant au modèle de production des collections.
“Des œillères ? Je n’en ai plus. Les sujets qui m’importent et qui sont clivants dans la société, je les ai traités dès le départ. Au début, j’avais un peu peur mais le soutien de ma communauté, de journalistes et personnalités comme Daphné Bürki me pousse à continuer et conserver une position radicale dans le but de changer les choses”. En janvier, elle présentait au Rex Club sa collection Coming out, narrant son histoire d’amour avec sa compagne Delphine. Le défilé a été applaudi, et même filmé par le journaliste Loïc Prigent. Mais derrière les likes et les plateaux télévisés, convaincre les acheteur·euses des grands magasins reste un défi de taille. Ainsi, Jeanne profitera de la semaine de la mode pour ouvrir un pop-up showroom du 29 février au 6 mars au 36 rue Debelleyme (Paris 3e) et offrir une visibilité concrète à sa collection.
“Il faut qu’on donne de la lumière” – Kevin Germanier
Cette double fonction du défilé (notoriété et business) est également décrite par le créateur Kevin Germanier, 31 ans, connu pour son prêt-à-porter, mi-couture, entre strass kawaii et plumes camp. Il présentera sa prochaine collection durant la semaine de la mode féminine. “Quand on se rend compte que cela fait bientôt 130 jours de guerre à Gaza, et qu’on est en train de faire des robes à plumes cela questionne. J’en suis conscient, et les gens de la mode aussi. On discute beaucoup, mais comme on me l’a dit, mon travail est de créer des échappatoires, faire rêver pendant 10 minutes”, raconte ce dernier dont les rêves surréalistes mobilisent systématiquement des castings inclusifs. Quant à la dimension business, il ajoute avec pragmatisme : “un défilé, c’est 6 mois de contenu pour Instagram, TikTok ou twitter, c’est aussi mon lookbook pour les acheteurs”.
“Susciter de l’émotion” – Julie Kegels
Pour la jeune Belge diplômée de l’académie d’Anvers, la fashion week de Paris sera une grande première. Pour celle qui a grandi dans le récit de la mode anti conformiste des Six d’Anvers, chahutant les normes de genre ou l’idéal de la nouveauté, Paris reste une scène accueillante, avec une place pour les avant-gardes, ainsi qu’une grande opportunité : “C’est le lieu que tout le monde observe. Quand on est jeune, je pense qu’il faut à tout prix éviter de changer pour coller à des cases. Il ne faut pas faire de choses plates, il y en a déjà trop. La mode actuelle manque d’émotions”, s’exclame-t-elle.
À travers ces témoignages, il apparaît clairement que la Fashion Week n’est pas seulement un rendez-vous mondain, mais aussi un lieu d’expression et d’engagement pour une nouvelle génération de créateur·ices. Entre rêve et réalité, glamour et revendication, la mode continue de se réinventer, portée par la passion et la détermination de celles et ceux qui la font vivre. Reste à mettre en place plus de structures d’aide pour que les jeunes créateur·ices, qui prennent de plein fouet l’inflation, puissent continuer de chahuter la scène parisienne, et troubler les normes conservatrices.
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