Rencontre au festival de Berlin avec la comédienne révélée par “L’Événement”, d’Audrey Diwan, qui y présentait “L’Empire”, de Bruno Dumont. Elle nous dévoile quelques éléments du film sur l’actrice Maria Schneider, dont elle vient d’achever le tournage.
Comment avez-vous vécu ce festival de Berlin ?
Très bien. Je pense que le festival de Berlin est celui qui correspondait le mieux au film de Bruno Dumont. L’Empire est vraiment un objet très barré, assez pointu, qui mélange les genres avec beaucoup de fantaisie. La Berlinale sait accueillir ce genre de film très singulier. Je l’ai bien vu à la soirée de première : les gens riaient beaucoup, quelques personnes ont quitté la salle, mais vraiment très peu. L’accueil a été vraiment bon, et Bruno était très satisfait.
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Après le succès de L’Événement et votre César de la révélation en 2021, vous n’avez pas tourné jusqu’au film de Bruno Dumont. Pourquoi ?
J’attendais le bon projet. J’ai vécu une expérience très forte avec Audrey (Diwan) sur L’Événement. C’était une vraie collaboration. C’est rare de fusionner à ce point avec une réalisatrice. Ce film est pour moi une réussite assez parfaite. Je n’attendais évidemment pas de retrouver la même chose, mais j’ai quand même pris le plus grand soin à choisir le projet suivant. Je voulais que ce soit quand même une expérience un peu intense. Il m’a fallu deux ans pour trouver.
Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter L’Empire ?
Après la sortie de L’Événement, j’ai reçu pas mal de propositions, mais la plupart découlaient trop directement du film d’Audrey. J’avais le sentiment qu’on me percevait uniquement dans un registre très dramatique. L’humour barré de L’Empire, le fait de jouer un personnage mi-humain, mi-extraterrestre m’ont séduite. Bruno Dumont est un réalisateur avec un univers très fort, une esthétique très identifiable. J’avais vraiment envie de me plonger dans l’univers de quelqu’un. Je n’avais vu aucun de ses précédents films, et je n’ai pas voulu les voir. J’ai préféré aller vers l’inconnu en me disant : “Que sera, sera.”
Vous préparez beaucoup vos rôles ?
Ça dépend des films. J’ai énormément travaillé en amont sur L’Événement, par exemple. Tout dans le film était très préparé. Mais sur L’Empire, j’avais envie d’être challengée sur une autre méthode. Bruno Dumont nous dirige beaucoup à l’oreillette, on crée beaucoup sur le plateau. Il faut accepter de se laisser surprendre. Le tournage était très collaboratif. Tout le monde proposait des choses, et Bruno encourageait cela.
Votre rôle était-il celui qui avait été proposé à Adèle Haenel et qu’elle a refusé ?
Oui, c’est le même personnage. J’ai lu dans la presse les raisons de son refus. J’en ai parlé avec Bruno quand il m’a proposé le rôle. C’est un choix qui lui appartient et que je respecte complètement. C’est sa vision du film. D’autres gens sans doute auront la même. Moi, je ne l’ai pas interprété comme ça. Libre à chacun. C’est une question de perspective.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier festival de cinéma, celui de Cannes en 2011, pour My Little Princess, d’Eva Ionesco, dont vous interprétiez l’un des deux rôles principaux à 11 ans avec Isabelle Huppert ?
C’était beau, j’étais émerveillé, j’avais des étoiles plein les yeux et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Étrangement, je ne suis jamais retournée à Cannes avec un film. Je suis heureuse d’avoir vécu ça, mais j’étais trop jeune, je crois.
Quand vous avez passé le casting, vous aviez envie que ça devienne votre métier ?
J’étais trop jeune justement pour le formuler de cette façon. J’avais fait du théâtre dans un groupe scolaire. Puis, j’ai demandé à mes parents de m’inscrire dans un cours en dehors, car j’aimais vraiment ça. Mais je ne savais pas très bien ce que c’était d’être actrice. C’était une passion, ça m’amusait énormément. Le tournage a ensuite été une expérience très heureuse. Il y avait des costumes, j’étais déguisée, c’était comme un jeu…
Vous compreniez les enjeux dramatiques très graves du film ?
Oui, quand même. J’avais conscience de la différence flagrante entre ma vie à moi et celle de mon personnage, hypersexualisé par sa mère photographe qui l’exploite comme modèle. J’avais de la compassion. Mais Eva m’avait hyper préparée en amont, et j’avais toutes les clés de compréhension pour comprendre ce que racontait le film. Mes parents étaient très proches tout le temps. J’étais très protégée. De fait, après le tournage, j’ai eu envie de continuer. À l’adolescence, je me suis autorisée à dire que je voulais en faire un métier.
“J’ai réalisé à quel point j’aimais défendre un film fort avec un sujet important”
Mais avez-vous continué une scolarité ?
Oui, j’étais assez rationnelle. Je me suis dit qu’il fallait quand même que je passe le bac. Je n’étais vraiment pas sûre que ça continue – et même temps, je n’en suis pas certaine. Après le bac, je me suis inscrite en fac de lettres modernes, un peu pour faire plaisir à ma mère. Mais j’ai dû passer une heure en amphi, et puis j’ai arrêté. J’ai réalisé que c’était un plan B et qu’il valait mieux, à ce stade, que je mette toutes mes forces dans ce que j’avais envie de faire. Que préparer un plan B allait peut-être me porter la poisse. C’était un pari. J’ai eu la chance de faire des films très régulièrement. Puis, il y a eu L’Événement. Je ne pensais pas qu’un film pourrait m’emmener aussi loin. J’ai réalisé à quel point j’aimais défendre un film fort avec un sujet important. J’ai retrouvé ça récemment, en jouant Maria Schneider dans le film de Jessica Palud.
Le tournage est terminé ?
Oui, le film est fini. Il va être présenté à plusieurs festivals, dont Cannes bien sûr. On va voir…
Le film retrace toute la vie de Maria Schneider ou seulement les années 1970 ?
Non, seulement de ses 16 à 29 ans. Le récit commence à l’adolescence, avec la rencontre tardive de son père [le comédien Daniel Gélin, qui ne l’a pas reconnue, ndlr]. Puis, il y a le tournage du Dernier tango à Paris qui vient bousculer sa vie, et les conséquences de ce tournage, qui vont la détruire. Le film est centré sur l’après-Tango, traite de la façon dont elle s’est enfermée dans la consommation d’héroïne parce qu’elle ne supportait plus qu’on la regarde.
Avec L’Événement et bientôt Maria, avez-vous le sentiment de porter un engagement, en figurant par exemple la souffrance infligée historiquement par la société aux femmes ?
J’ai le sentiment qu’on attribue aux acteurs et actrices une charge politique utilisée parfois un peu à tout-va. On leur demande de s’exprimer sur tout ce qui fait l’actualité, et ce n’est pas forcément leur fonction. J’ai l’impression que les films parlent pour nous et qu’on n’a pas forcément à s’exprimer davantage. J’ai envie de jouer dans des œuvres qui reflètent mes principes, mes engagements personnels. Le féminisme est évidemment un de ceux-là. En tant que jeune femme de 24 ans, j’essaie d’apporter une pierre à l’édifice. Donc quand on me propose de jouer un personnage qui se bat pour son indépendance, des femmes qui luttent pour la maîtrise de leur corps, la maîtrise de leur destinée, ça m’intéresse en priorité.
Vous vous sentez partie prenante des prises de parole récentes d’actrices dénonçant les situations d’abus et de violence qu’elles ont subies ?
Oui, bien sûr. Surtout après avoir joué Maria. Ce rôle m’a permis de prendre conscience de certaines choses auxquelles j’étais moins sensible avant. Je n’avais pas totalement mesuré à quel point l’exercice de ce métier peut devenir une tragédie. Maria Schneider avait déjà tenté de nous mettre en garde dès les années 1970, mais on n’a pas écouté ces femmes. Leur parole a été enfouie. Ce que j’aime voir aujourd’hui en tant que jeune femme, c’est que la parole des victimes est davantage entendue. Il devient possible d’envisager de démanteler ce système de perpétuation des abus. Dans le cinéma bien sûr, mais aussi dans tous les secteurs de la société, jusqu’à la sphère privée. C’est pour ça que des prises de position comme celles d’Adèle Haenel sont importantes, et qu’il faut les écouter. Il y a structurellement un problème dans l’écoute de la parole féminine. La société a toujours eu peur d’écouter les femmes. Aujourd’hui, enfin, on a l’impression d’assister à une éruption. Mais ce n’est pas parce qu’une parole surgit que les choses changent. Il faut rester soudées !
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