La 49e cérémonie des César a été marquée par le discours d’une beauté tonitruante de Judith Godrèche, dans une soirée où l’ampleur du mouvement de dénonciation des violences sexuelles a peiné à innerver totalement la soirée. Quelques paroles politiques fortes se sont néanmoins fait entendre. Et “Anatomie d’une chute” de Justine Triet a triomphé, talonné toutefois par “Le Règne animal” de Thomas Cailley.
“C’est compliqué de me trouver devant vous tous ce soir. Vous êtes si nombreux. Mais dans le fond, j’imagine qu’il fallait que ça arrive, notre visage face à face, les yeux dans les yeux.” C’est par ces mots, prononcés de façon vibrante et totalement investie, que Judith Godrèche a initié son discours sur la scène de la 49e cérémonie des César.
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Par un texte d’une grande netteté et d’une vraie force littéraire, l’actrice-réalisatrice a appelé “à regarder la vérité en face”, tandis que “l’image de nos pères idéalisés s’écorche” et que “le pouvoir semble presque tanguer”. Le texte est parvenu à joindre des notations extrêmement personnelles (“J’ai arrêté l’école à 15 ans, je n’ai pas le bac, rien”), à évoquer de façon à la fois elliptique et cinglante les violences subies (“À une enfant prise d’assaut comme une ville assiégée…, à un réalisateur qui, en chuchotant, m’entraîne sous son lit sous prétexte de devoir comprendre qui je suis vraiment”), tout en transcendant une expérience personnelle (“Ne croyez pas que je vous parle de mon passé, de mon passé qui ne passe pas”) et en l’incluant dans une dynamique beaucoup plus vaste (“Mon passé, c’est aussi le présent des 2 000 personnes qui m’ont envoyé leur témoignage en quatre jours… C’est aussi l’avenir de tous ceux qui n’ont pas eu la force de devenir leur propre témoin”).
Cette prise de parole, d’une intensité interloquante, s’est achevée par une belle citation d’un dialogue de Céline et Julie vont en bateau : “Il était que cette fois, ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois”, citation à valeur programmatique ayant aussi la vertu d’inviter l’œuvre d’un cinéaste presque ignoré par l’histoire des César, Jacques Rivette, et un film conçu comme un espace entièrement dévolu à la créativité en feu de ses actrices (Juliet Berto, Dominique Labourier, Bulle Ogier, Marie-France Pisier) également autrices.
Un manque
Bérénice Béjo et Ariane Ascaride, qui ont succédé sur scène à cette intervention, ont enchaîné avec justesse, sans embrayer directement sur le registre de l’entertainment, saluant la force de cette parole et appelant à la faire résonner. Cette résonance a justement fait défaut à l’ensemble de la soirée. Comme si, en dépit de l’espace aménagé à Judith Godrèche, quelque chose du mouvement collectif en cours dans la dénonciation des mécanismes de domination et de prédation peinait à forcer les portes de la cérémonie.
Certes, d’autres prises de parole se sont adjointes à celle de Judith Godrèche, comme l’intervention d’Audrey Diwan (lauréate avec Valérie Donzelli de la meilleure adaptation pour L’Amour et les forêts), la saluant pour son courage et interrogeant la salle brusquement : “Qui soutient les violences sexuelles et sexistes dans cette salle ?” Et Justine Triet a dédié le César du meilleur film pour Anatomie d’une chute “à toutes les femmes, celles qui réussissent et celles qui ratent, celles qu’on a blessées et qui s’en libèrent par la parole et celles qui n’y parviennent pas…”
Mais aucune parole masculine n’est venue s’ajouter à celles des actrices et des réalisatrices sur cette question, laissant un vide de parole à cet endroit. Comme le rappelait Gala Hernández López, lauréate du meilleur court métrage documentaire pour La Mécanique des fluides, des actions féministes avaient lieu au moment même à l’extérieur de l’Olympia, la CGT avait initié un rassemblement, et l’écho de ses revendications paraissait quand même très assourdi par le protocole de la cérémonie.
Une pluralité de prises de parole politiques
Il est vrai que, quelques heures plus tôt, le patron des programmes de Canal+ avait annoncé de façon comminatoire dans Le Parisien que toute intervention qui n’avait pas été planifiée serait immédiatement privée d’antenne. Dans le cadre chronométré des remerciements de lauréats, d’autres paroles politiques se sont fait néanmoins entendre.
Gala Hernández López, Kaouther Ben Hania (lauréate du meilleur documentaire pour Les Filles d’Olfa) – implorant que “le massacre cesse” – et Arieh Worthalter (lauréat du meilleur acteur pour Le Procès Goldman de Cédric Kahn) ont appelé à un cessez-le-feu à Gaza de façon particulièrement vigoureuse, “parce que la vie le demande, celle des Gazaouis et celle des otages” (Arieh Worthalter).
Enfin, l’un des trois décorateurs lauréats pour Le Règne animal pour les meilleurs effets visuels (Cyrille Bonjean, Bruno Sommier et Jean-Louis Autret), rappelant l’interruption de tournage du film en raison de mégafeux, a enjoint le gouvernement à s’engager dans une lutte urgente contre les effets du désastre climatique en cours.
Deux films vainqueurs
Dans cette soirée ponctuellement marquée par des interventions fortes et assez opportunément en retenue dans sa volonté de show (interventions comiques plus parcimonieuses), le palmarès était assez peu propice au débat, presque incontestable. La victoire attendue, et juste, d’Anatomie d’une chute est donc advenue – l’impressionnante quantité de récompenses à l’international déjà obtenues par le film n’ayant heureusement pas nui à sa consécration à domicile.
Mais cette nouvelle moisson de six statuettes (film, réalisatrice, actrice pour Sandra Hüller, second rôle masculin pour Swann Arlaud, montage pour Laurent Sénéchal, et scénario original pour Arthur Harari et Justine Triet) a malgré tout ménagé la possibilité à son principal challenger d’exister presque aussi fortement. Pas moins de cinq trophées sont venus saluer Le Règne animal (photo pour David Cailley, costumes pour Ariane Daurat, effets visuels, musique pour Andrea Laszlo De Simone, et son pour Fabrice Osinski, Raphaël Sohier, Matthieu Fichet et Niels Barletta).
Parmi les autres lauréats, citons le César du meilleur second rôle féminin pour Adèle Exarchopoulos dans Je verrai toujours vos visages, la double récompense de Chien de la casse pour Raphaël Quenard (révélation masculine) et Jean-Baptiste Durand (premier film), la révélation féminine pour Ella Rumpf (Le Théorème de Marguerite), et celui, très réjouissant, du meilleur film étranger pour Simple comme Sylvain, de Monia Chokri.
Deux noms de cinéastes
Justine Triet a donc eu l’occasion de monter sur scène à trois reprises (scénario, réalisation, film). Son intervention la plus développée fut à l’occasion du César de la meilleure réalisatrice, qu’elle était (comme elle l’a rappelé) seulement la deuxième femme à obtenir (vingt-quatre ans après Tonie Marshall pour Vénus Beauté). “Ce qui est à la fois génial et un peu flippant”, a-t-elle noté avec à-propos et humour.
Dans son remerciement, elle a rendu hommage avec beaucoup d’émotion à la cinéaste Sophie Fillières, disparue en juillet dernier alors qu’elle terminait le tournage de son dernier film, Ma vie, ma gueule. Sophie Fillières, une réalisatrice inspirée et inspirante, que jusque-là les César avaient très peu considérée et dont le premier long métrage, Grande petite (1994), reste une des plus belles interprétations de Judith Godrèche. Rivette, Fillières, on se réjouit que les deux noms de ces cinéastes aient résonné tout au long de la soirée.
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