Alors que son excellent label Ici d’ailleurs fête ses 15 ans, il faut absolument (re)découvrir Chapelier Fou, ce Lorrain féerique et inventif, aux puzzles joyeux entre hip-hop, electro et avant-garde.
Il faudrait songer à mener une étude épidémiologique au cœur du bassin lorrain. Déterminer quels agents ont pu agir sur une scène musicale qui, depuis trente ans, fait si ostensiblement bande à part. Se demander dans quelle mesure la brutale mutation à laquelle fut soumise cette province, autrefois fleuron de l’industrie sidérurgique française, a pu favoriser la sensibilité postmoderne qui la caractérise. Car au final, de Nancy à Metz, du groupe Kas Product à Cascadeur, des Disques du soleil et de l’acier à ceux du label Ici d’ailleurs, l’histoire de la production sonore en milieu lorrain passe essentiellement par des sentiers peu battus. “La scène messine est riche et diverse, sauf qu’elle souffre d’une carence en lieux où s’exprimer. D’où cette tendance à faire les choses chacun dans son coin”, constate Louis Warynski alias Chapelier Fou, jeune homme longiligne et émacié.
Chapelier Fou a réussi l’exploit d’installer en trois ans, deux albums et une poignée d’ep sa fantaisie bricolée au coeur d’un paysage sonore hexagonal rarement accueillant pour les hybrides de son acabit. Au point de se trouver, aujourd’hui, à l’initiative d’un courant dont il est l’unique représentant et qui se propose comme l’interface rêvée entre musique minimaliste, electro, hip-hop instrumental et musiques du monde. “Pour moi, composer, c’est d’abord inventer un processus. C’est une démarche solitaire où il faut définir un cadre théorique précis. C’est pour ça que j’aime les gens qui écrivent à partir de concepts comme Iannis Xenakis, Steve Reich ou Giorgi Ligeti.”
Louis Warynski vous parle doctement de “synthèse granulaire” (“un son créé à partir de points”) ou de “l’importance du canon chez Moondog”, comme d’autres de la gamme pentatonique dans le blues. Et cite le label Ninja Tune, les disques d’Amon Tobin, ceux de DJ Shadow comme pièces essentielles dans la construction de son puzzle personnel. Il y a une quinzaine d’années, ce fils de profs de maths et de français interrompait des études de violon au conservatoire pour se consacrer à l’analyse et la composition.
Parallèlement commencent les aventures de son double, Chapelier Fou, avec des disques faits maison sur lesquels sont samplés chants pygmées et solos de kora qu’il retraite à l’aide d’un logiciel, s’inventant de la sorte une méthode et un vocabulaire. “J’ai longtemps vécu dans une chambre de 12 mètres carrés qui servait également de studio, au milieu d’un amas de câbles et de tables de mixage. Je dormais avec mes machines, mangeais avec elles.”
Dans ce “laboratoire”, où cohabitent synthés vintage, vieux Casio, un orgue Farfisa “récupéré chez Emmaüs pour 40 euros”, on trouve aussi une guitare, un bouzouki et un violon Apparut des années 30 avec lequel l’ancien élève du conservatoire entretient une relation de fidèle complicité. Cette promiscuité qu’ont instruments d’époque et du IIIe millénaire se reflète dans l’alliage que réalise le Chapelier sur ses disques où sons analogiques et digitaux s’entremêlent pour donner à sa musique ce caractère unique de tapisserie rétrofuturiste. “Un des morceaux d’Invisible, mon nouvel album, s’appelle Le Tricot. Voilà qui donne une idée de ma manière de travailler.”