Treize ans après ses débuts, le festival multidisciplinaire fait toujours briller Genève de tous ses feux. On y était.
“Antigel a décidé en 2011 de brasser les cartes de la culture et de bousculer la géographie à Genève, en s’intéressant à un territoire élargi, en choisissant une saison où il n’y avait pas grand-chose, c’est-à-dire en plein hiver”, explique Éric Linder, cofondateur de ce festival pas comme les autres qui, tous les ans en février, occupe Genève dans ses moindres recoins, multiplie les pistes artistiques et mélange les genres avec audace et finesse. “C’est une aventure au travers du territoire avec une programmation dense, une centaine de spectacles répartis dans au moins une cinquantaine de lieux et plus de vingt-cinq communes. Un festival qui raconte l’évolution et la transformation de Genève en faisant découvrir des artistes dans des lieux inédits.”
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Des soirées survoltées
Inaugurée jeudi 1er février en grande pompe avec un concert enfumé, trippé et bourré à craquer de Kruder & Dorfmeister, la quatorzième édition d’Antigel – où sont attendus Air, José González, Flavien Berger ou Gisèle Vienne – nous saisit d’emblée à la gorge le vendredi soir avec le concert d’Orphia. Aidée de ses machines analogiques, perdue dans les fumigènes et les stroboscopes, la jeune révélation des synthés, avec ses ritournelles cold wave, ouvre avec panache le live bouillant de French 79, tout en drops electro et murs de LED du plus bel effet.
Une fois chauffé·es, direction le Grand Théâtre, l’équivalent de notre Opéra parisien, pour Extravaganza, une soirée clubbing organisée par la cofondatrice du festival Thuy-San Dinh et Maud Liardon (collaboratrice artistique), dont le dress code – Liaisons dangereuses – est déjà tout un programme. Éparpillés entre les étages, les dorures et les escaliers royaux, marquis poudrés et comtesses raffinées, dominatrices en latex et hommes en jupe dansent et sabrent le champagne dans un déluge de crinolines, de postiches, de loups et de dentelles. Pendant que des performances de voguing, de cabaret érotique et baroque et d’hommes nus sous les paillettes chauffent à blanc cette fantastique cour des miracles qui s’ébat sous des beats rageurs de house music.
Après une courte nuit et un brunch au bord du lac aux Bains des Pâquis, institution genevoise où des nageurs et nageuses n’hésitent pas à se baigner, bonnet en laine sur la tête, dans une eau translucide à 7 degrés, nous voilà transporté·es au cœur d’un ball de voguing au Motel Campo, repaire du clubbing underground. Venues de Paris, Londres et de toute la Suisse, figures confirmées du voguing et débutantes se défient sur le catwalk dans une ambiance explosive et survoltée, rythmée de glow et d’injonctions à la realness. Comme une confirmation en or de la place accordée aux minorités par le festival depuis ses débuts.
“Étincelle se conclut en apothéose par une chorégraphie chorale effrénée qui nous met les larmes aux yeux”
Changement radical d’ambiance et de lieu avec Étincelle, chroniques urbaines. Une création originale (les Made In Antigel) en forme de performance immersive et narrative qui nous entraîne, casque sur les oreilles, dans un podcast IRL en trois dimensions. Déambulation sonore dans les méandres du nouvel écoquartier de Plan-les-Ouates, parsemée de danse, de néons et de skates, autour d’une réflexion sur la notion de violence, Étincelle se conclut en apothéose par une chorégraphie chorale effrénée qui nous met les larmes aux yeux.
La nuit tombe déjà, l’heure idéale pour continuer dans ce mélange de mélancolie et d’enthousiasme avec le concert de Slowdive, vétérans du shoegaze qui, d’un coup de pédales d’effets et à travers un concert parfait, nous embarquent dans leur univers de guitares rêveuses parfait pour clore ce marathon.
Dimanche, fin des festivités pour la semaine, avant de repartir sur les chapeaux de roue trois semaines durant, avec la Night Run Antigel, où parents et enfants s’échauffent, vêtu·es de leurs plus beaux outfits sportifs, dans le froid piquant du sublime parc La Grange, avant de se lancer dans la course. La preuve en beauté que le festival ne s’interdit rien, surtout pas les mélanges les plus improbables. Que ce soit un cours de tai-chi rythmé par des sets de DJ, une balade sonore féministe, des soirées afro-house, une carte blanche à Varnish La Piscine, une semaine de découverte autour de la scène ghanéenne, du théâtre contemporain, des cours d’aérobic spécial Saint-Valentin… et on en oublie en route.
La preuve, comme le souligne Éric Linder, de la volonté dès les premiers jours du festival d’être “multidisciplinaire, de s’imposer comme une zone de liberté, de s’adresser à un large public avec l’envie de faire partager des coups de cœur confirmés, comme en devenir”.
Généreux et enthousiaste, pointu et mainstream, aventureux et curieux, Antigel, qui a attiré plus de 55 000 personnes en 2023, n’a pas perdu sa passion première, avec une équipe, aussi émerveillée que le public, qui chaque soir partage ses coups de cœur. À la manière dont Éric nous narre, la voix tremblante, le coup de pouce inespéré offert par Patti Smith pour la première édition du festival, la venue de Philip Glass deux fois de suite, les péripéties des post-punk Idles (avant même d’être connus), jouant et s’ébattant dans une piscine, sa passion pour les musiques crétoises, l’electro-choc Mykki Blanco ou le concert de Dean Blunt, qui, pour lui, reste le plus grand électrochoc de l’histoire du festival, on mesure le feu qui anime Antigel !
Antigel, 14e édition, du 1er au 24 février à Genève.
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