C’est dans un somptueux hôtel particulier parisien que se tient l’exposition “Bijoux de scène de la Comédie-Française”, qui explore les différentes facettes, sur scène comme à la ville, des parures des comédien·nes. Passionnant.
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C’est un majestueux escalier au-dessus duquel un luminaire de Constance Guisset, non moins impressionnant, déploie ses feuilles, lesquelles rappellent les marches qu’elles surplombent. Nous venons de franchir la porte cochère, haute mais discrète, de l’hôtel de Mercy-Argenteau, traverser une cour pavée typiquement parisienne et pénétrer dans l’enceinte de L’École des Arts Joailliers, abritée de l’agitation des Grands Boulevards. Fraîchement aménagée par Constance Guisset, elle ouvre ces jours-ci les portes de son exposition dédiée aux bijoux de scène de la Comédie-Française.
Autour des deux salles consacrées à l’événement, des salles de cours et de conférences, une librairie et une bibliothèque, pensées avec un sens de l’espace et des courbes à la fois chic et chaleureux, habillant des boiseries dorées sur de grands murs blancs et bleu foncé ainsi que de splendides ornements néoclassiques.
Fondée il y a plus d’une décennie avec le soutien de Van Cleef & Arpels, L’École des Arts Joailliers est une école d’initiation à la culture joaillière, non diplômante, qui propose des cours à la carte où l’on étudie l’histoire du bijou, mais aussi son savoir-faire et la gemmologie, au moyen d’un matériel de pointe. Jamais plus d’une petite dizaine d’élèves, des expert·es en guise d’intervenant·es.
Tandis que le campus situé rue Danielle Casanova, à deux pas de la place Vendôme, est en rénovation, celui de l’hôtel de Mercy-Argenteau prend son envol. Il n’est pas le seul : à Shanghai, Dubaï et Hong-Kong, on peut également suivre des cours dans des lieux propices à la découverte.
Un hôtel très particulier
Mais cet ancien hôtel particulier est sans conteste le plus chargé d’un auguste passé. Édifié en 1778 par l’architecte Firmin Perlin à la demande du banquier Jean-Joseph de Laborde, il est baptisé du nom de son premier occupant, le comte de Mercy-Argenteau. Ambassadeur de Marie-Thérèse d’Autriche, il organise le mariage de Louis XVI et Marie-Antoinette, dont il est le diplomate – avec le peu de succès qu’on lui connaît, la sémillante reine n’ayant guère écouté ses conseils avisés. Cependant, elle lui fait suffisamment confiance pour lui confier, avant sa fuite à Varenne, son coffre à bijoux…
Après la révolution, la riche famille Duchesne rachète l’hôtel, ajoute un niveau et des combles. Depuis, des artistes comme Rossini, qui y a composé Le Voyage à Reims en 1825, y ont séjourné. En 1891, l’hôtel devenu l’Union latine franco-américaine de Paris se voit embelli par une rutilante salle des fêtes. Sous les blasons de l’Équateur, de l’Uruguay, de la Bolivie, du Honduras, celle-ci accueille alors des expositions et retrouve aujourd’hui sa fonction originelle avec “Bijoux de scène de la Comédie-Française”.
Au-delà du fait que les boulevards ont toujours appartenu aux comédien·nes, cet événement souhaite mettre en exergue un patrimoine de bijoux franchement épatants, tout droit sortis des archives de la prestigieuse institution fondée par Louis XIV en 1680. S’il ne s’agit pas de joaillerie – dont le prix et le poids ne permettaient pas d’usage scénique –, on le croirait, tant le savoir-faire s’impose ici dans chaque pièce. Un raffinement accentué par une ambiance tamisée façon coulisses, où le bleu ardoise met savamment en valeur l’or des pierres… et les strass. Car ici, on ne verra du diamant que ses répliques. Mais quel faste !
Alors que la cohérence historique ne s’impose vraiment qu’à la modernité, les parures s’en donnent à cœur joie sur scène, tant et si bien que les grands de ce monde mettent la main au portefeuille pour remercier de leur prestation les acteur·rices, qui ont longtemps dû – selon la règle de jadis – rendre au théâtre le bijou avec lequel ils et elles avaient joué. Ainsi, dans Britannicus de Racine, le légendaire Talma est coiffé d’une couronne de lauriers en métal doré qui lui sera offerte par un de ses admirateurs, Napoléon Ier. Le jeu ne se fait pas sans histoire, petite ou grande…
Voyages dans le temps
Dotée d’une dimension archiviste – car les bijoux s’accompagnent de dessins, peintures et autres registres scrupuleusement tenus par la Comédie-Française –, l’exposition nous fait voyager à travers les époques, rappelant le pouvoir narratif des grandes pièces dramatiques. Sur scène, on copie le réel comme on copie la joaillerie. On admire les bijoux de la grande Rachel : pas moins de trois diadèmes pour Phèdre, des camées fabriqués avec des coquillages et non des pierres, distillant pourtant un charme fou…
Dans un dernier espace présentant les icônes de la Belle Époque, de Sarah Bernhardt à Édouard de Max, on a affaire à leurs représentations photographiques en taille réelle. On s’incline devant la robe de mille feux de Julia Bartet dans Pépa, ces pièces Lalique faites de matières nouvelles ou cette broche somptueuse ayant appartenu à la grande Bernhardt. Bonus pour les amateur·rices de la cour britannique : une couronne de fleurs offerte par la reine Victoria à l’issue d’une représentation donnée par Rachel, en 1841.
Et les hommes dans tout ça ? Qu’on se rassure, ils ne sont pas en reste. En témoignent le collier de l’ordre de la Toison d’or, des bracelets serpentés ou encore des bijoux pectoraux aussi imposants que colorés, du rouge au vert. Ainsi, dans le superbe cadre de l’hôtel de Mercy-Argenteau, les minutes filent sans qu’on y prenne garde, tant on imagine les émotions qu’ont vécues ces bijoux de toc, qui racontent le passé tout en ayant inspiré la joaillerie d’aujourd’hui. Qu’importe la parure, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Bijoux de scène de la Comédie-Française à L’École des Arts Joailliers, au 16 bis, boulevard Montmartre, Paris 9e. Entrée gratuite sur réservation.
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