C’est l’histoire d’un ingénieur civil originaire de Louisville dans le Kentucky, qui lâche tout pour dessiner Picsou. Son nom : Don Rosa. Son œuvre majeure, la Jeunesse de Picsou, a été lue dans le monde entier et est adulée par de très nombreux fans. Un documentaire en préparation parlera de son parcours et des oeuvres que ses fans ont créées.
Mardi 9 août 2016, premier arrondissement de Paris. Devant un bar à quelques pas de la place du Châtelet, des fans bien particuliers se retrouvent et discutent entre eux. Certains portent des t-shirt aux effigies d’un canard anthropomorphe portant une pioche dans sa main, regardant au loin vers les montagnes d’Alaska, d’autres discutent activement des aventures du-dit volatile qu’ils préfèrent. Au sous-sol, quelques groupes se sont formés devant l’estrade sur laquelle est installée une table avec un ordinateur. A droite, posé devant un mur gris illuminés de led bleues, un portrait d’un autre palmipède avec cette fois un casque d’explorateur, de petites lunettes de vue et un sourire presque maléfique sur le visage.
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Un jeune homme à lunettes, aux cheveux longs et à la barbe fournie, une bien jolie cravate au cou, passe d’un groupe de passionnés à l’autre. Morgann Gicquel est l’organisateur de cette soirée assez spéciale. L’appel a été passé sur Facebook. L’objet ? Réunir des votes dans l’optique d’un concours permettant au gagnant de gagner près de 10 000€ afin de développer son documentaire. Celui que Morgann Gicquel a imaginé, intitulé Le Mystère Picsou, porte sur l’un des dessinateurs les plus talentueux du personnage : Don Rosa, l’auteur de « la jeunesse de Picsou« . Dans cette bande-dessinée en douze volumes, publiés entre 1992 et 1994 au Danemark, on voit le canard, natif de Glasgow, sortir de la misère, affronter la violence du monde jusqu’à devenir une espèce de monstre très riche sans coeur. Toute l’aventure est racontée d’une manière souvent drôle et pince sans rire mais aussi parfois très triste et dramatique.
La cravate de Morgann Gicquel – Photo : Xavier Eutrope
Don Rosa, un auteur au parcours passionnant
« Il est un des seuls auteurs de jeunesse qui ne prend pas ses lecteurs pour des idiots, explique Morgann Gicquel. Et ça en tant qu’enfant c’est quelque chose que l’on sent« . Pour le jeune réalisateur, les autres personnages de Disney n’ont jamais connu d’aventures aussi excitantes que celles écrites par l’américain. « Les aventures de Mickey sans intrigue et où se termine bien à la fin, personne ne s’en souvient » résume-t-il. Selon lui, c’est le nombre de lectures possibles des aventures qu’il écrivait et dessinait qui rend son oeuvre si intéressante. Il la compare d’ailleurs aux productions Pixar, qui utilisent la même grammaire que les dessins animés Disney mais réussit à établir des discours complexes sur des thématiques parfois très graves et lourdes.
Le parcours de Don Rosa est aussi celui d’un fan, un homme qui a lâché une carrière d’ingénieur civil pour se mettre à dessiner des canards. Tout ça dans un unique but : marcher dans les pas de son idole, le créateur du personnage, Carl Barks. Tout dans « la jeunesse de Picsou » renvoie à l’imaginaire et aux créations de l’artiste. Don Rosa a voulu donner une sorte de cohérence et écrire une histoire cohérente et pertinente du canard, avec une précision et une érudition qui fait parfois pâlir.
Un peu à la manière des personnes qui aujourd’hui écrivent des fan-fictions, des récits mettant en scène leurs personnages préférés, mêlant parfois des univers fictifs comme ceux de Star Wars, Harry Potter et Marvel. A plusieurs égards, Don Rosa a écrit, avec « la jeunesse de Picsou » de tels récits qui ont par la suite été publiés, un peu comme Fifty Shades of Grey. « Don Rosa et Carl Barks se sont rencontrés une fois, toute une journée au domicile de ce dernier, explique Morgann Gicquel. Ils n’ont presque pas parlé de Picsou, mais Carl Barks lui a dit ‘vous prenez ça un peu trop au sérieux' ».
L’un des badges distribués lors de la soirée organisée par l’équipe du film – Photo : Xavier Eutrope
Anonymat aux Etats-Unis, succès au Danemark…puis aux Etats-Unis
L’histoire de Don Rosa est aussi celle d’une tragédie. « Une tragédie parce que c’est un pionnier. S’il était né vingt ans plus tard, les choses auraient été complètement différentes ». Les retours sur les cinq histoires écrites et dessinées par Don Rosa et éditées par Disney étaient plutôt positifs. Cependant, l’auteur s’est rapidement rendu compte qu’il ne pourrait pas en vivre, le lectorat des aventures de Picsou étant assez réduit aux Etats-Unis et la politique de l’employeur vis-à-vis des auteurs assez rigide. A n’en pas douter, Internet, sans lui permettre d’accéder à la fortune instantanément, aurait rendu les choses beaucoup plus simples. « Puis il a reçu un appel de Egmont, le plus gros éditeur de livres au Danemark, raconte le réalisateur. Ils lui ont dit qu’ils étaient prêt à le publier directement ».
Cet événement a totalement changé la vie de l’auteur. Il a pu, peu après, commencer à publier ses histoires contant la jeunesse de Picsou. « Les aventures ont d’abord été publiées dans une langue qui n’était pas celle de l’auteur et qu’il ne pouvait donc pas lire », s’amuse Morgann Gicquel. Cela s’explique par le fait que le lectorat des aventures de Donald, Picsou et le reste des canard Disney est très développé en Europe du Nord. Certains leur vouant parfois même une espèce de culte. « Nous en France on a eu Tintin après la guerre, eux ils ont eu Picsou ». Pour le réalisateur, pas de doute, sans l’Europe, l’auteur ne serait pas sorti de l’ombre. « Après avoir gagné son Eisner Awards, que l’on peut comparer aux oscars des comic-books, Disney a exploité le nom de Don Rosa, se rendant compte que ça pouvait leur apporter quelque chose« . Avant ce prix important gagné en 1997 suite à la parution de la jeunesse de Picsou aux Etats-Unis entre 1994 et 1996, les auteurs des histoires étaient très généralement anonymisés.
Morgann Gicquel a eu l’occasion de rencontrer Don Rosa a plusieurs reprises. « Au bout de la cinquième fois, il a commencé à me reconnaître » explique le réalisateur. Lors d’un tour du dessinateur en France en 2013, il a fait valoir qu’il réalisait un reportage sur Don Rosa pour pouvoir entrer dans une librairie et approcher son idole. Le résultat : un petit documentaire que le dessinateur a adoré. « Il m’a ensuite demandé par mail si je voulais aller chez lui pour le filmer et discuter ». Une offre qui aurait pu sembler alléchante. « Je lui ai répondu non, explique le réalisateur. Je ne voulais pas faire un petit film de vacances ‘Morgann au Kentucky qui va filmer Don Rosa' ». Il imagine alors un film qui retracerait la vie de Don Rosa, son parcours de dessinateur, le montrant en train dessiner avec en prime les témoignages de personnes qui ont été touchées par le travail du dessinateur et qui ont créé par la suite grâce à lui. C’est certainement ça, le « mystère » que tente d’éclaircir ce film : comment l’oeuvre d’une personne, un fan, a pu provoquer une telle onde de choc à travers le monde et pousser des gens à créer. Tuomas Holopainen, musicien finlandais membre du groupe Nightwish, a par exemple composé un album inspiré de La Jeunesse de Picsou.
Des financements compliqués à débloquer
Mais il manque aujourd’hui une quantité non négligeable du budget et seul un douzième du film a été tourné. Morgann Gicquel a approché quelques sociétés de production et cherche actuellement des partenaires chez les diffuseurs, mais pas en France. « Ici ce n’est plus possible, explique le réalisateur. Dans une grande chaîne, on nous a demandé si Picsou était un sujet français pour voir s’il était possible de financer le documentaire. Et on ne nous a rien donné au final » Sur ce point, Morgann Gicquel met en avant le fait qu’en France, Picsou Magazine, un magazine qui a publié à de nombreuses reprises Don Rosa, vend près d’un million d’exemplaires chaque année.
« Au final, le budget du film est de 400 000 euros, aujourd’hui on en a rassemblé 25 000″, détaille-t-il. Il a décidé, afin, de compléter les fonds déjà mis de côté, de présenter son projet à un concours organisé par le site The Audience Awards. Le premier prix est de 10 000 euros. « Si on gagne, cela nous permettra de tourner un tiers du documentaire, ce qui est impressionnant, un bond de géant. » Ce tiers que l’argent de la récompense permettrait de financer toute la partie du film où l’on verrait Don Rosa dessiner. « Il y aura nécessairement besoin d’investissements privés par la suite, surtout des chaînes de télé. Ce concours est un bon moyen de les convaincre » explique Morgann Gicquel. Les personnes qui souhaitent soutenir le projet peuvent voter tous les jours sur la page dédiée du concours jusqu’au 18 août au moins, jusqu’au 29 s’il se qualifie pour la finale.
Photo : Xavier Eutrope
Le réalisateur, malgré les signes évident de soutien d’un public motivé, s’est toujours refusé à faire appel au crowdfunding. « Le problème de cette façon de faire, explique-t-il, c’est que c’est plus une campagne de communication pour attirer les fans. Mais nous avons déjà les fans, et le film va coûter assez cher. » Selon-lui, un site de crowdfunding ne permettrait pas de boucler le budget. « On ne veut pas prendre l’argent des fans maintenant, complète Morgann Gicquel. Ils paieront pour voir le film en salle ou en DVD ou via la redevance, mais nous ne voulons pas coincer l’argent des fans entre les investissements publics et privés sur le film ».
Le réalisateur reste confiant et croit à un bon dénouement. « Déjà si on y croyait pas, on aurait pas du se lancer, relativise-t-il. Il y a parfaitement la possibilité de terminer le film et si c’est pas cette année ce sera dans deux ou trois ans ». Son pari serait de boucler le tout en moins de trois ans. « On a déjà tout de prêt : nos intervenants, notre scénario. Il ne manque que les sous pour prendre la caméra, partir, revenir et monter ». Avec un peu de chance, il n’y aura même pas besoin du sous porte-bonheur de Picsou.
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