Qui était Molière ? Olivier Py imagine la dernière soirée du grand homme, y projettant ses propres fantasmes et 10 000 infos sur le “patron” de tous·tes les comédien·nes français·es. Indigeste et étouffant.
La première fiction pour le cinéma du metteur en scène Olivier Py (qui a déjà réalisé un téléfilm et un court documentaire sur sa famille d’origine pied-noire) raconte la dernière soirée de Molière, le 17 février 1673, au théâtre du Palais-Royal. Une soirée fatale tournée en un seul décor et un seul plan, éclairée sans autre lumière que celle de milliers de bougies donnant une couleur rouge-orangée à l’image.
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Le comédien et auteur (incarné par Laurent Lafitte, de la Comédie-Française) a 51 ans depuis peu. Il doit jouer pour la quatrième fois Argan, dans Le Malade imaginaire. Mais le roi n’est toujours pas venu voir la pièce. Pourquoi ? Molière n’est pas en grande forme. Il tousse.
Avant et pendant la représentation, il croise les figures les plus importantes de sa troupe, ses connaissances et ami·es, ses amours (son épouse Armande Béjart, son amant Michel Baron), des ecclésiastiques, des nobles, et au fil de cette promenade labyrinthique dans le théâtre, nous allons apprendre qui il est, d’où il vient, et tout de ses angoisses présentes.
Un homme désabusé
Premier écueil du film : le texte, qui ressemble quand même souvent et beaucoup à la fiche Wikipedia de Molière, est très (trop) pédagogique et didactique, étouffant. On n’apprend rien de neuf sur Jean-Baptiste Poquelin qu’on ne sache déjà, et le regard posé sur lui ne sort pas fondamentalement des sentiers battus.
La vérité, c’est qu’on ne sait pas grand-chose sur Molière, et que Py a donc dû broder. Pourquoi pas ? Alors, de temps en temps, il fait du Guitry, avec des répliques rigolotes du genre : “On pourrait rassembler plusieurs troupes, et on appellerait ça la Comédie-Française !” La plupart relevant de ce qu’on appelle l’ironie dramatique, c’est-à-dire jouant sur la complicité avec le·la spectateur·rice. Autre exemple : un fantôme lui dit qu’il a inventé la langue française… Bon.
Le problème du plan-séquence, c’est qu’il faut le remplir ardemment, au risque d’ennuyer, puisque l’ellipse est interdite. Olivier Py montre un homme désabusé, “au bout de sa vie” comme on dit aujourd’hui, victime de toutes les institutions, de la cour, de la religion, du roi, etc. Jean-Baptiste Lully l’a trahi, mais comment savoir à quel point il en a vraiment souffert ? Molière est quand même l’acteur le plus connu de son temps, il est fort riche, Louis XIV lui a confié la direction de sa troupe… Que lui faut-il de plus ? Recevoir un Molière ?
Une vision doloriste artificielle
Certes, ce génie, qui ne sait pas qu’il en est un, est fatigué et malade. Certes, il a perdu, il y a un an jour pour jour, Madeleine Béjart, dont le fantôme, incarné par Jeanne Balibar, vient lui rendre visite pour lui remonter le moral. Elle fut l’un de ses plus grands amours, et c’est elle qui fonda l’Illustre Théâtre, leur première troupe. Certes, avec Armande Béjart (Stacy Martin), son épouse, fille (ou sœur) de Madeleine, rien ne va plus parce qu’elle lui serait infidèle. Et le couple a récemment perdu un fils en bas âge, chose hélas banale à l’époque.
Mais cette vision doloriste de Molière semble un peu artificielle. Au fond, il serait mort parce qu’il était prêt à mourir. Drôle d’idée, très romantique, mais un peu trop lourde et teintée de psychosomatisme sommaire. Selon Georges Forestier, son biographe le plus célèbre, Molière serait surtout mort à cause d’une épidémie de pneumonie qui sévissait à Paris depuis quelques jours.
Des références écrasantes
L’esthétique du film, étouffante elle aussi (on ne sort jamais du théâtre, au risque de faire croire une nouvelle fois que Molière y est mort, alors qu’il est décédé quelques heures plus tard chez lui), rappelle beaucoup celle du Satyricon de Federico Fellini, notamment les visages enfarinés et effrayants des nobles, mort·es-vivant·es vaguement décadent·es, ou la scène dans laquelle Baron s’adonne à des libations dans sa baignoire.
On pense aussi – au-delà de la référence à La Corde, d’Hitchcock, revendiquée par Py – au plan-séquence de L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov. Les décors et les personnages éclairés à la bougie (comme dans une célèbre scène de Barry Lyndon, de Kubrick, au panthéon des plus kubrickiens des kubrickiens) ajoutent à cette impression asphyxiante, sans doute pour que nous nous identifions à la “broncho-pneumo-pleurésie” (on ne sait pas trop) de l’homme qui a donné son nom à la langue de notre pays. Toutes ces références écrasent en réalité le film, qui ne se montre vraiment pas à la hauteur de ses illustres prédécesseurs.
Manque d’humilité
Laurent Lafitte est parfait en Molière, Eva Rami aussi (très drôle en Mademoiselle Beauval, créatrice du rôle génial de Toinette). On s’amuse à apercevoir Judith Magre et la regrettée Catherine Lachens, décédée récemment. Les acteur·rices sont tous·tes admirables. Mais cela ne suffit pas.
Dans son fameux registre de comptes, le comédien La Grange (qui a créé le rôle de Dom Juan, tandis que Molière avait préféré jouer Sganarelle) écrit sobrement, à la date du 17 février 1763, après avoir scrupuleusement noté la recette : “Ce même jour après la comédie, sur les 10 heures du soir, M. de Molière mourut dans sa maison rue de Richelieu, ayant joué le rôle du Malade imaginaire.”
C’est un peu ce qui manque à ce film : de la simplicité, de la vie banale, des faits, plutôt que des mots qui expliquent tout, des grandes images symboliques et répétitives (masques de tête de mort) de la grande faucheuse qui approche. En somme, Le Molière imaginaire manque d’humilité : c’est souvent l’autre nom du bon cinéma.
Le Molière imaginaire, d’Olivier Py, avec Laurent Lafitte, Stacy Martin, Bertrand de Roffignac, Eva Rami. En salle le 14 février
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