Plus de quarante ans après sa sortie, “L’Enfer des armes” de Tsui Hark revient au cinéma dans une restauration 2K. De quoi vérifier la ténacité de ce brûlot hongkongais.
À l’aube des années 1980, le dernier film d’un cycle que Tsui Hark baptisera lui-même sa “trilogie du chaos”, L’Enfer des armes (au titre américain infiniment supérieur, Dangerous Encounters of the First Kind), fait alors figure de point d’orgue pour une nouvelle vague hongkongaise émergente.
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Amorcé avec les deux premiers longs du cinéaste, Butterfly Murders et Histoires de cannibales, le mouvement entérine plus que jamais de faire voler en éclat un paysage cinématographique artistiquement essoufflé dans des productions balisées, notamment celles de l’ultra-prolifique Shaw Brothers.
Coriace plongée nihiliste, L’Enfer des armes est un grand saut dans la brutalité et une virée anarchique d’une violence extrême. À la sortie du film, Tsui Hark subit une pression gouvernementale qui l’oblige à remonter et à retourner certaines séquences, défigurant près d’un tiers du métrage. Il en existe ainsi plusieurs versions, dont l’original semble destiné à n’être plus qu’un fantasme à moitié perdu (la version qui ressort actuellement restaurée en 2K est celle dite “internationale”).
Chasse à l’homme éprouvante
C’est ainsi que le trio d’adolescents de L’Enfer des armes ne pose plus de bombes dans un cinéma – fait divers hongkongais glaçant qui inspira le cinéaste et qu’il s’appropria immédiatement comme métaphore (les films sont des bombes) –, mais renverse plutôt un piéton lors d’une virée nocturne en bagnole. Ils seront ensuite embrigadés par une jeune femme, la magnétique et génialement enragée Lin Chen-chi (actrice taïwanaise récurrente de la Shaw Brothers) en proie à d’irréfrénables pulsions terroristes.
Là où le film est particulièrement fascinant, c’est dans sa narration qui, petit à petit, se dilue, par moment soumise à la seule logique suffocante de la fureur. Cette perte de cohérence narrative lui donne un air de film savaté, exutoire serti de rouges et de bleus saturés, animé par un coup de sang dont on ne redescendrait jamais. Les séquences se raccordent à certains endroits par des motifs pulsionnels qui tendent à l’abstraction.
Ce qui n’empêche pas Tsui Hark, artilleur de la vitesse et du chaos, d’être tout à fait lisible quand il le veut. En témoigne cette éprouvante et longue scène terminale qui prend ses quartiers dans un cimetière géant, théâtre aux écrasantes lignes de fuite d’une chasse à l’homme aussi sanglante que terrorisante.
Clichés d’émeutes
Martyrs et bourreaux n’ont d’ailleurs pas de profonde caractérisation propre. Leur écriture se fait principalement par leur consistance physique, leur corps devenus pures lignes et mouvements. Quand soudain, une irruption surgit du brûlot : des photographies viennent s’immiscer dans le flux d’images, comme une nouvelle déflagration. Ce sont des clichés d’émeutes datant de 1976 ayant profondément secoué et divisé Hong Kong, et qui rappellent de quoi la violence est nourrie. De colère, d’injustice, et d’oppression.
Alors, quand un personnage tourne son arme et braque le·la spectateur·rice, le regard caméra d’un canon scié n’hurle plus qu’une seule chose : la promesse asphyxiante d’une jeunesse jetée en pâture et en charpie, dont le film semble dessiner la fosse commune pour seul horizon.
L’Enfer des armes, de Tsui Hark, avec Lo Lieh, Lin Chen-chi, Albert Au, Che Biu-law, Ray Lui (Hong-Kong, 1980, 1h35). Ressortie en salle le 7 février 2024
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