Le cinéaste britannique, dont le cinquième long métrage “La Zone d’intérêt” investit les salles obscures ce 31 janvier, a d’abord fait ses armes dans la réalisation de clips, à l’orée des années 2000. Rétrospective de ses plus prestigieuses collaborations.
Radiohead – Street Spirit (Fade Out)
1995. Radiohead, porté par la déflagration Creep, sort un second album – The Bends. Un disque dont les quatorze morceaux cristallisent les affres du jeune Thom Yorke, presque assommé par le succès fulgurant du groupe. Street Spirit (Fade Out), titre au spleen manifeste et aux paroles tourmentées, en est le plus juste reflet. Des émanations mélancoliques que Jonathan Glazer s’est échiné à mettre en images dans un clip tourné dans un désert non loin de Los Angeles. Un “tournant dans [son] propre travail” et un “moment clé”, confiait-il dans les colonnes d’Indie Wire, en 2003 : “Je l’ai su quand je l’ai terminé, parce que [les Radiohead ont] trouvé [leur] propre voix en tant qu’artistes, et à ce moment-là, j’ai senti que je me rapprochais de la mienne.”
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Tandis que le premier arpège retentit, le regard de Thom Yorke entaille l’objectif, avant de s’échapper vers le ciel ébène. Les bras ouverts, il se jette alors du haut d’une caravane. Une succession de ralentis de plans rapprochés montrant son visage – tantôt figé par la douleur, tantôt déformé par un cri viscéral – servira ensuite des textes inquiets, témoins d’une ère numérique à ses balbutiements : “This machine will, will not communicate / These thoughts and the strain I am under.” Un ultime plan au ralenti capture l’envolée de Yorke vers les cieux. Son salut fantasmé ?
Blur – The Universal
La même année, Jonathan Glazer plonge dans l’univers d’un autre groupe britannique en plein essor : Blur. Le cinéaste réalise ainsi le clip de The Universal, morceau issu de leur quatrième disque, The Great Escape. Tourné à Nightingale Estate, dans la banlieue de Londres, et dans un studio parisien, il est calqué sur l’esthétique du film de Stanley Kubrick, Orange mécanique. Même maquillage charbonneux et sourire mutin que le personnage d’Alex, Damon Albarn laisse surgir pantomimes et regards badins. Autour de lui, Graham Coxon, Alex James et Dave Rowntree, impassibles, jouent leur instrument de manière désincarnée.
Dans ce décor immaculé aux touches orange, on croise aussi bien des femmes apprêtées et un brin objectifiées se tortillant devant une poignée de regards lubriques qu’un “homme rouge” aux sourcils tordus et ongles manucurés. Jonathan Glazer s’est saisi de la fascination du groupe pour la science-fiction, visible dès la pochette du clip… Une référence au plan d’ouverture de 2001 : L’Odyssée de l’espace, un autre film de Stanley Kubrick, s’est d’ailleurs glissé dans la vidéo.
Massive Attack – Karmacoma
Cinéma et musique peuvent définitivement se répondre, nourrissant un dialogue infini. Nouvel exemple savamment dressé par Jonathan Glazer : le clip de Karmacoma. Quatre minutes émaillées de références cinématographiques, de l’œuvre de Kubrick (ici encore) à celle de Tarantino. Pour imager les explorations trip-hop du collectif britannique, Glazer a imaginé une traversée fantasque et inquiétante au cœur d’un hôtel.
Un type à l’air ahuri rôde dans un interminable couloir, pistolet à la main, énumérant les chambres qui s’y trouvent. Dans l’une d’elles, les membres de Massive Attack se murent aux côtés de l’artiste Tricky – qui a collaboré avec eux pour ce morceau. Plus loin, des énergumènes rivalisent de bizarrerie : l’un, peau souillée d’on ne sait quelle matière, prend de drôles de poses face à l’objectif, un autre, presque englouti par sa chevelure, transpire l’angoisse, un autre encore affiche une langue cloutée. Avant que ne surgissent des jumelles rappelant celles de Shining, puis une jeune femme aux allures de Mia Wallace – fameux personnage de Pulp Fiction. Une exploration cérébrale à la frontière de l’entendement et de la folie.
Jamiroquai – Virtual Insanity
En 1996, le nom du cinéaste ne cesse de circuler dans le milieu musical. Après Radiohead, Blur et Massive Attack, c’est au tour de Jamiroquai de faire appel au talent de Jonathan Glazer pour mettre en images Virtual Insanity, issu de Travelling Without Moving, et l’un de leurs morceaux les plus salués.
Couvre-chef proéminent sur la tête, Jay Kay se plie à une série de pas de danse, tandis que le sol semble glisser sous ses pieds – expression corporelle impulsive qui s’exprime, alors même qu’il est retenu captif entre de mystérieux pans de murs, d’où jaillit une lumière froide et industrielle – et offre une grimace à la fin du clip. Virtual Insanity remporte le MTV VMA de la meilleure vidéo de l’année en 1997, coiffant au poteau The New Pollution de Beck et Don’t Speak de No Doubt. Chapeau bas.
Nick Cave and The Bad Seeds – Into My Arms
Nouvelle collaboration prestigieuse pour le réalisateur. En 1997, Jonathan Glazer signe le clip du single Into My Arms – extrait du dixième disque de Nick Cave and the Bad Seeds, The Boatman’s Call. Le cinéaste commence par capturer le visage de l’Australien, yeux baissés et mains jointes à travers une succession de plans en noir et blanc. Défilent ensuite le visage d’un enfant, puis d’un homme dont la mâchoire se serre au gré des émotions, d’un nourrisson, et enfin d’une femme dont les larmes déferlent sur ses joues, la respiration entrecoupée de sanglots.
Des plans qui entreprennent sans doute un pas de côté quant au sens originel du morceau, une ballade amoureuse que Nick Cave avait écrite en cure de désintoxication. Récit mélancolique d’un amour déchu (ou définitivement perdu).
Radiohead – Karma Police
Deux ans après Street Spirit (Fade Out), Radiohead fait de nouveau appel à Jonathan Glazer – ou peut-être est-ce l’inverse ? En 1997, ce dernier se rend à une projection presse de Lost Highway, film de David Lynch, sur les conseils de Marilyn Manson, qui souhaitait lui confier la réalisation de l’un de ses clips. Si le cinéaste n’accroche pas vraiment – il s’endort, purement et simplement –, l’ouverture du long métrage lui reste en tête : un plan où une route déserte défile rapidement, éclairée par les phares d’une voiture au beau milieu de la nuit. Manson, pas très convaincu par l’idée, refuse sa proposition. Glazer la soumet alors à Radiohead, qui l’accepte pour Karma Police.
Une voiture à l’assise en velours rouge s’apprête à s’élancer sur l’asphalte. À l’arrière, Thom Yorke perd son regard dans le vide, la mine presque renfrognée. Une course-poursuite s’amorce avec un homme trottinant au-devant (visiblement pas assez rapidement), et la voiture finira par s’enflammer. Des images qui résultent d’une “utilisation très minimaliste et subjective de la caméra”, avait précisé Jonathan Glazer auprès d’Indie Wire, en 2003. Lequel admettait “[avoir] essayé de faire quelque chose d’hypnotique et de dramatique”, démarche “très difficile à réaliser”. Jusqu’à considérer le clip de Karma Police “comme un échec complet”. Cinéaste talentueux, mais exigeant.
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