Le studio Greenlight Essentials, créé par Jack Zang, a présenté le trailer de son projet de long métrage horrifique « Impossible Things », vendu comme le premier film co-écrit avec une intelligence artificielle… Réel projet visionnaire, arnaque destinée à attirer les financements, ou prémices d’un futur angoissant ?
Impossible Things est, selon ses créateurs, un projet hors norme, un geste précurseur s’aventurant à déblayer de nouvelles voies de collaboration entre l’art et la science. Sur la page de financement participatif Kickstarter montée pour soutenir le projet, l’équipe se targue de provoquer la rencontre révolutionnaire entre le pouvoir de l’intelligence artificielle et la créativité humaine, afin de donner vie « au film d’horreur le plus effrayant et dérangeant de tous les temps ».
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Apprentis artistes, mais robots avant tout
Derrière cette vitrine un brin prétentieuse, le projet s’inscrit dans la longue et riche histoire des incursions de la technologie, notamment informatique, dans le champ a priori insaisissable de la créativité artistique. Ainsi, le « deep learning », un système d’apprentissage via des neurones artificiels, permet à des machines d’évoluer en fonction des données qui leur sont fournies, et d’intégrer par exemple les techniques caractéristiques des plus grands maîtres de la peinture pour produire des toiles imitant leur style à la perfection – quand ils ne créent pas le leur, à l’instar de l' »Inceptionnisme » des intelligences artificielles de Google Brain.
Au cinéma, la symbiose entre l’art et la science est telle que ses évolutions majeures coïncident toujours avec l’apparition ou la redécouverte de procédés scientifiques ou techniques : l’arrivée du parlant, la pellicule couleur, la caméra portée et auto-silencieuse, les capteurs numériques… Pourtant, l’étape du scénario reste un sanctuaire protégé de l’ingérence des machines : mis à part Sunspring, tentative abracadabrantesque de court métrage au scénario sans queue ni tête entièrement écrit par une intelligence artificielle, la construction du récit reste l’apanage de la feuille blanche, du crayon, du clavier et surtout de l’esprit humain ballotté entre le doute et l’inspiration.
Quand la science-fiction rencontre l’art de la fiction
Pour écrire le scénario d’Impossible Things, ses créateurs ont décidé de conserver l’indispensable élément humain et de l’assister par des suggestions et des calculs scientifiques recourant au big data (évaluation des tendances et analyses prédictives de phénomènes grâce à des ensembles de données extrêmement volumineux). L’équipe a passé cinq ans à développer son Analytic Terminal, un outil capable de déconstruire un grand nombre de scénarii pour en isoler les éléments constitutifs (personnages, situations, motifs visuels) et les relier aux résultats du box-office et aux critiques des spectateurs. La machine peut ainsi recombiner les éléments correspondant le plus aux attentes du public, avant que le scénariste ne prenne le relais pour homogénéiser l’ensemble.
L’atypique duo a accouché d’un récit horrifique dont voici le synopsis : « Suite à la mort brutale de sa fille en bas âge, Madeline quitte son travail, s’éloigne de son mari, et part vivre avec ses deux autres enfants dans une vaste maison perdue dans la nature. Elle commence à entendre des voix et à distinguer les silhouettes étrangement familières d’une femme à l’esprit dérangé et de sa petite fille morte… » A cette expérience d’écriture se sont ajoutés des tests en temps réels sur un « marché financier virtuel d’actions-films », ainsi que des visualisations cartographiques du public cible selon son emplacement géographique.
Un résultat classique à en être effrayant
Le trailer du film, dont la cible a été elle aussi définie à l’aide de l’intelligence artificielle, est au final un condensé attendu de tous les leitmotivs du film d’horreur grand public, sans parti-pris esthétique fort. On y retrouve, sous-tendus par une bande son constituée de nappes sourdes, de grincements angoissants et d’une comptine susurrée par une fillette vraisemblablement sortie d’outre-tombe, le décor typique de la maison isolée, la porte qui grince, les objets qui s’animent mystérieusement et les apparitions fantomatiques sanguinolentes. Même l’incontournable jump scare, sursaut visuel et sonore opérant une mise en scène quasi-physique de l’effet de surprise, est au rendez-vous.
Au-delà de l’intérêt scientifique et de l’éventuel impact financier d’une telle méthode, cette recherche d’efficacité rationalisée et calculée à l’extrême dans la conception d’un film ne renouvelle ni l’art du récit, ni le geste de sa mise en scène. Elle semble au contraire mener à une normalisation des scénarii transformés en purs produits de consommation, à un gommage de toute aspérité qui annihile la possibilité-même du trouble et du mystère. Mais au fond, à l’heure des séries gérées par des équipes de scénaristes aux tâches hyper-spécialisés et des blockbusters réécris, re-tournés et re-montés en fonction des attentes du public et des résultats de leurs prédécesseurs au box office, avons-nous vraiment besoin de machines pour calibrer la création ?
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