Mûri pendant quatre ans, le nouvel album de la Française Barbara Carlotti sublime encore un peu plus sa voix grave et gracieuse avec des chansons d’une profonde beauté. Critique et écoute.
Le troisième album de Barbara Carlotti, L’Amour, l’Argent, le Vent, arrive vêtu d’un fourreau argent. La photo intérieure montre Barbara cheveux au vent. Et l’amour dans tout ça ? Il est partout, au propre et au figuré. Au défiguré parfois, à travers l’héroïne tuméfiée de Ouais, ouais, ouais, ouais ou la femme trompée de Dimanche d’automne. Egalement l’amour des belles choses, indémodables, qui irradie un disque amoureux comme l’étaient il y a longtemps ceux d’une autre Barbara ou le premier Sanson. Un disque classique de fille moderne, triplement récidiviste en l’espèce, mais encore trop cruellement confidentielle sous nos latitudes, quand ailleurs, parfois très loin, certains l’ont déjà statufiée en déesse frenchy but chic. Elle s’amuse ainsi à rappeler que son précédent album a bien marché en… Nouvelle-Zélande !
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Carlotti est une singulière, comme l’indique son itinéraire jusqu’ici, entamé avec un mini-album, Chansons, il y a plus d’un septennat, dont certaines étapes remarquées (Cannes, Tunis…) lui vaudront d’être accueillie outre-Manche sur le prestigieux label 4AD. C’est sous cette griffe classieuse que sortiront Les Lys brisés (2006) puis L’Idéal (2008), recueillant plus d’estime que de succès de part et d’autre de l’Eurostar. Suivront quatre longues années de doutes toutefois bien remplies, notamment par une participation à Imbécile, la pièce chantée du Feydeau pop Olivier Libaux, un duo avec Delpech, une création radiophonique poursuivie en spectacle stimulant à la Cité de la Musique (Nébuleuse dandy) et beaucoup de dépaysements destinés à enrichir aussi bien sa fibre personnelle que sa palette musicale.
Après son Idéal baudelairien, Barbara se fait donc rimbaldienne, cherchant ailleurs ses illuminations, au Japon, en Inde, au Brésil surtout, avec en tête l’effervescence tropicaliste et un irrépressible besoin d’aventures. Elle est servie, sur place, lorsqu’un jour elle est victime d’un braquage à l’arme blanche par des gamins paumés des favelas, qui la détroussent notamment de ses carnets de notes précieusement noircis, point de départ de la chanson L’Amour, l’Argent, le Vent, pleine d’orgueil frivole et d’ivresse cathartique. Le piano en intro évoquera aux fétichistes I Shall Call Her Mary des obscurissimes et néanmoins merveilleux Montage (nébuleuse Left Banke, 1969) et cela n’a rien d’innocent.
Celle qui déjà reprenait les Zombies sur son premier album peut compter sur sa bande d’esthètes musiciens (Benjamin Esdraffo, Jean-Pierre Petit, Fred Pallem…) pour instiller de-ci, de-là des références suprêmes puisées dans les grimoires secrets des sixties, bien que Barbara ait ici cherché à s’en affranchir. “Je ne suis pas bloquée musicalement sur cette période, je ne voue d’ailleurs aucun culte, et la musique pour moi est souvent liée à l’envie de danser.” Illustration avec Quatorze ans, un jerk new-wave qui évoque les années 80 parisiennes façon Les Nuits de la pleine lune, mais transposées sous les étoiles de Corse, où elle a grandi : “Je me suis souvenue de la joie qui traversait cette époque, des disques de Depeche Mode, de Soft Cell, de la manière dont Daho avait su saisir au vol cette euphorie passagère.”
En contrepoint, Nuit sans lune raconte un voyage à bord d’un “train lancé dans le vide”, prétexte à une mini-odyssée sensorielle qui révèle l’autre face, plus romanesque et mélodramatique, d’un album qui aime ainsi à conjuguer vestiges du passé et vertiges inconnus, influences palpables et élans insaisissables. Aux pop-songs de facture classique (Occupe-toi de moi, tube possible) répondent notamment des titres travaillés avec Villeneuve qui échappent glorieusement aux carcans du couplet-refrain (les sublimes Le Coeur à l’ouvrage et Marcher ensemble).
En évoquant le parcours de Katerine, qui lui donne la réplique sur Mon Dieu mon amour, Barbara Carlotti brosse un possible autoportrait : “Katerine a commencé à écrire en suivant son goût, maintenant il fait la musique qu’il a en lui profondément, il laisse parler sa musique intérieure. Dans un autre registre, j’admire Scott Walker, j’aime les Walker Brothers, ses premiers albums solo, mais j’admire surtout ce qu’il fait aujourd’hui car je pense qu’il s’agit de son identité profonde. Il n’y a que comme ça que l’on peut avancer sans se caricaturer soi-même.”
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