Dernier appel à la mobilisation pour sauver Montévidéo, à quelques jours du déménagement prévu, faute de moyens pour y rester.
“En juin dernier, la ville me disait : ‘Arrête de stresser, on ne lâchera jamais Montevidéo’”, se souvient Hubert Colas alors qu’il se retrouve forcé de faire les cartons de sa compagnie, du festival Actoral et des espaces dédiés aux résidences d’artistes à Montévidéo. Un déménagement prévu la dernière semaine de janvier.
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Pourtant, l’adjoint à la Culture Jean-Marc Coppola revendique le soutien de Marseille et rappelle que “c’est la ville qui a explicitement demandé à la ministre de la Culture d’exprimer son refus de lever l’ordonnance de 1945” en octobre dernier.
Rappel des épisodes précédents
Depuis plus de six ans, Hubert Colas alerte la ville de Marseille du souhait du propriétaire de Montévidéo de vendre l’espace où sa compagnie est installée pour construire un immeuble. En mai dernier, le metteur en scène nous rappelait les prémices du litige : “On avait alors fait valoir que ce lieu était un théâtre, assujetti à la volonté du ministère de la Culture sous l’ordonnance de 1945. Mais le propriétaire n’ayant rien voulu entendre, on a fait un procès qui est allé en appel, et notre pourvoi en cassation a été rejeté. C’est un rebondissement non stop qui a pris fin le 15 avril.” De nombreux artistes se mobilisent alors pour défendre l’importance de ce haut lieu de la culture, unique en son genre, en signant la tribune Urgence Montévidéo.
Aujourd’hui, Jean-Marc Coppola souligne qu’en 2017, quand Jean-Claude Gaudin (Les Républicains) dirigeait la ville, rien n’a été fait et que la nouvelle municipalité récolte, depuis l’élection de Benoît Payan (PS) en 2020, les pots cassés de la précédente mandature.
Une expulsion évitée in extremis
Cet été, les différentes tutelles se sont réunies pour chercher une solution. Las, en octobre dernier, la nouvelle tombe comme un couperet : “La préfecture nous a fait savoir que nous sommes expulsables le 15 octobre, annonce Hubert Colas en plein festival Actoral. Nous lançons un SOS pour que l’ensemble de nos tutelles, ville, État, région et département trouvent une solution de relocalisation.” Devant l’urgence de la situation, ce sont à nouveau les artistes qui se mobilisent et décident d’occuper Montévidéo à partir du 14 octobre au soir.
L’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, sauve in extremis la situation lors d’un déplacement à Marseille. “Le lieu est protégé par l’ordonnance de 1945 et le sera toujours, en tout cas, tant qu’elle restera ministre, déclare alors Hubert Colas. Et elle en marque l’importance, à la fois pour les activités qu’on y a menées et parce que Marseille manque de lieux culturels. C’est ce qu’elle affirme haut et fort en disant, avec le préfet de la région PACA Christophe Mirmand, que l’association Montévidéo ne sera pas expulsée ‘pour le moment’”.
Des offres de rachat en baisse
Un délai qui permet à la Sogima, mandatée par la ville de Marseille pour racheter Montévidéo, de retourner vers le propriétaire pour refaire une offre d’achat : “On n’a pas renoncé à se porter acquéreur, précise Jean-Marc Coppola, puisqu’on a demandé à la Sogima, qui connaît bien les prix du marché, de faire une offre au propriétaire, qui en demande 4 millions. Mais au prix du marché, le bâtiment vaut 1,9 million, pas plus. On n’a pas préempté le bâtiment, car sinon, on aurait dû le mettre en concurrence. Or, on souhaite qu’Hubert Colas reste dans le lieu. Le fait que la Sogima l’achète permet justement d’éviter cette mise en concurrence.”
La première offre de la Sogima, en août 2023, était de 2,2 millions d’euros. Mi-décembre, elle fait une seconde proposition de 1,8 million. On ne s’étonne pas du refus du propriétaire, constate Hubert Colas : “Même si on sait que les marchés financiers, c’est compliqué à cause des taux d’intérêt qui ont augmenté, on sait aussi que la nouvelle proposition de la Sogima est inférieure à ce que vaut le bâtiment.”
Un avis que ne partage pas Jean-Marc Coppola : “Cette deuxième offre tient compte de l’évolution des taux d’intérêt. D’ailleurs, le propriétaire n’a pas refusé, mais a répondu à la Sogima qu’il l’enregistrait, lançait un appel à projets et revenait vers elle. C’était en décembre. Plus de nouvelles depuis. On sait qu’il a refusé une autre offre du même montant. À 4 millions, il ne trouvera pas.”
Cessation de paiement
Entre temps, le propriétaire a demandé une réévaluation du loyer depuis sept ans et demi, soit 275 000 euros. “Nous avions mis de côté 150 000 euros de subventions, que nous avons pu verser au propriétaire en juin, relate Hubert Colas. Il restait 123 000 euros à payer, et nous avons réuni l’ensemble des collectivités pour demander leur aide.”
L’État a considéré avoir largement fait sa part, la ville a signifié qu’elle ne les aiderait pas, la région n’a pu intervenir pour cause de cessions de financement, et le département leur a octroyé une aide de 10 000 euros. “La situation a donc empiré : 123 000 euros pris sur le compte bancaire d’une association loi 1901 qui touche 350 000 euros de subventions à l’année, ça signifie qu’on n’a plus d’argent depuis le mois d’octobre. On se retrouve quasiment en cessation de paiement. Je suis obligé de réduire l’équipe de Montévidéo. En six mois, il y a eu six départs, et on se retrouve à cinq en janvier.”
Sans parler des 10 000 euros mensuels d’indemnités de non-départ que règle la préfecture au propriétaire, “puisque la décision de justice d’expulser n’a pas été exécutée par le préfet en octobre”, rappelle Jean-Marc Coppola.
La Cômerie, solution de repli ?
Hubert Colas doit se résoudre à quitter rapidement les lieux pour ne pas augmenter la dette. Tant que les subventions de 2024 ne seront pas votées, un retour à Montévidéo n’est pas possible. Une solution est d’abord envisagée en décembre : se replier à la Cômerie, propriété de la ville qui a demandé il y a trois ans à Hubert Colas d’en assurer la gouvernance artistique pour accueillir des artistes en résidence. Il y a invité l’Atelier des artistes en exil, des plasticien·nes et des compagnies de danse – Emanuel Gat et Éric Minh Cuong Castaing.
Mais la loi des séries étant impitoyable, et le hasard flirtant avec l’ironie du sort, la commission de sécurité de la ville décide au même moment de visiter les lieux et constate que les normes de sécurité ne permettent pas son utilisation. En janvier, un compromis semble se dessiner, nous explique le metteur en scène : “La ville fait les travaux minimums pour le rez-de-chaussée, remise en place du chauffage et vérification des normes électriques. Ce qu’ils ne font pas et qui empêche l’utilisation des deuxième et troisième étages, c’est l’alarme incendie et la ventilation.”
“Je ne sais pas du tout quelle va être la position de Mme Dati quant à l’ordonnance de 1945”
Fait étrange, s’inquiète-t-il, la ville a proposé à tou·tes les artistes qu’il a fait venir en résidence à la Cômerie de faire des conventions, en direct. Le même traitement lui étant proposé : une convention de six mois, renouvelable une fois. Aussi tenace que désespéré, Hubert Colas fait ces jours-ci une contre-proposition à Marseille en plaidant l’importance de la continuation des activités de Montévidéo et en demandant de conserver la gouvernance artistique des lieux.
“La remise aux normes de la Cômerie nécessite un an de travaux qui ne seront pas forcément compatibles avec la présence d’artistes en résidence”, répond Jean-Marc Coppola pour justifier ces conventions. Tout en réaffirmant son soutien à l’aventure menée par Montévidéo depuis vingt-quatre ans : “Nous continuons de le soutenir. On ouvre des lieux pour des artistes, on soutient les associations culturelles. La ville a maintenu ses subventions. C’est un sujet qui nous prend beaucoup de temps et d’énergie tous les jours. Une réunion va rapidement se tenir réunissant la Drac [Direction régionale des Affaires culturelles], le département, la région et la ville, qui portera sur l’engagement et les responsabilités de chacune des tutelles vis-à-vis de Montévidéo. Concernant le déménagement, on souhaite que la région aide à stocker le matériel et, surtout, que chacun s’engage sur des soutiens budgétaires.”
Aujourd’hui qu’un nouveau gouvernement est en place, une autre question se pose, et de taille : “Je ne sais pas du tout quelle va être la position de Mme Dati quant à l’ordonnance de 1945, et je pense que le propriétaire va se poser la même question”, s’alarme Hubert Colas. Une chose est sûre, il y a urgence à se mobiliser pour assurer un retour le plus rapide possible à Montévidéo de sa compagnie, du festival Actoral et des artistes qu’il accueille à l’année en résidence. Le rayonnement international de cette aventure a bel et bien fait de ce lieu un espace essentiel, qu’il faut protéger et sauver à tout prix.
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