Le nombre important de tueries de masse, qui se sont multipliées lors des deux mandants de Barack Obama, ont montré à plusieurs reprises son incapacité pour encadrer le droit de porter une arme. Celui-ci, inscrit dans la constitution par le fameux second amendement, semble être une construction historique et culturelle, très difficile à réformer.
Orlando, Virginia Tech, Newtown, Kileen, Austin, San Bernardino, Columbine… La liste est encore longue. Les tueries de masse sont, de manière inquiétante, très fréquentes aux Etats-Unis. En 2015, il y a eu 220 jours marqués par un tel événement, selon le pureplayer Vox, qui s’appuie sur des chiffes du Mass Shootings Tracker.
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Le site définit une tuerie comme une attaque par armes à feu, faisant au moins quatre morts ou blessés. Encore récemment, le 31 juillet à Austin au Texas, une fusillade faisait un mort et trois blessés.
A chaque tragédie, une salve de questions revient sur le devant de la scène. Pourquoi les citoyens américains ont-ils le droit de posséder une arme ? Sont-ils si attachés à ce droit ? Pourquoi Barack Obama n’arrive-t-il pas à encadrer la législation concernant les armes ? Le sujet est complexe, révélateur des tensions politiques qui animent les Américains.
Une construction historique et culturelle
Si les citoyens américains ont le droit de porter une arme, et semblent attachés à le conserver, c’est que l’arme correspond à une construction historique et culturelle. Comme le précise Jean-Eric Branaa, maître de conférences à l’université de Paris II Assas, spécialiste de la société et de la politique américaine, qui sortira à la fin du mois son nouveau livre American Touch :
« L’arme est importante au moment de la colonisation des Etats-Unis. Elle signifie l’émancipation, l’exploitation des territoires, le développement vers l’Ouest, bien plus que les chevaux et les chemins de fer. Au moment de l’indépendance du pays, on introduit la liberté de porter une arme, car il n’existe pas encore de police, mais des milices, qui représentent une sorte de garde nationale. L’idée est de leur permettre d’être armées pour qu’elles puissent protéger les citoyens contre l’Etat fédéral. Les armes font donc partie de l’identité culturelle américaine. »
Lorsque le droit de porter une arme est inscrit dans le deuxième amendement de la Constitution américaine, il n’est ainsi crée que pour encadrer les milices. Ce n’est que bien plus tard, dans les années 70, qu’un glissement de sens s’opère, et que se répand l’idée que tous les citoyens ont le droit de posséder une arme. Un article du New Yorker révèle la subtilité contenue dans l’amendement, soulignant que « le texte de l’amendement est divisé en deux clauses, et se trouve dans son ensemble, non-grammatical ».
Une décision historique de la Cour suprême des Etats-Unis en 2008 a permis d’affirmer que le 2ème amendement « protège le droit d’un individu à posséder une arme, indépendamment du service dans une milice, et à utiliser cette arme dans un but légal, tel que l’autodéfense à domicile ». Cette décision a notamment invalidé l’interdiction des armes de poing, qui existait depuis 1976 dans la ville de Washington.
Beaucoup de citoyens américains voient dans ce droit un moyen de se protéger soi-même de l’autre.
« La société américaine capitalise sur l’idée que l’on attend très peu du collectif : on travaille dur pour nourrir sa famille, pour lui offrir une sécurité sociale, et donc on la protège soi-même » détaille Jean-Eric Branaa.
L’ombre de la National Rifle Association
La nouvelle lecture du deuxième amendement, qui s’opère dès les années 70, provient du virage effectué par une association de chasseurs, la National Rifle Association (NRA), devenue un puissant lobby pro-armes. La NRA s’est en effet transformée en une instance qui défend avec vigueur le droit de porter une arme, inscrit selon elle dans la Constitution, texte fondateur des Etats-Unis. Revenir sur ce droit, correspondrait alors à détricoter la constitution.
La NRA pèse fortement dans la vie politique américaine, ce qui explique l’absence de décisions prises pour limiter ce droit, comme le précise Anne Deysine, juriste spécialiste des Etats-Unis, et auteure de La Cour suprême des Etats-Unis, publié chez Dalloz en 2015 :
« La NRA fait pression sur les membres du Congrès, en finançant les campagnes électorales de ses membres, et en les menaçant : elle a des tablettes où elle note les élus de A à F, quelqu’un qui est pour une loi pour réguler les armes obtient un F. Les démocrates ont perdu beaucoup de sièges dans les années 90 quand ils ont voulu encadrer le droit de porter une arme. C’est très récent qu’ils s’intéressent de nouveau à la question des armes. »
Le commerce des armes est par ailleurs très prospère aux Etats-Unis, avec environ 357 millions d’armes en circulation dans le pays, selon une estimation du Washington Post, pour 320 millions d’habitants. Cela correspondrait à plus d’une arme par habitant. Toutefois, le nombre de ménages possédant une arme à feu oscille entre 30 et 40%, soit moins de la moitié des foyers.
Plusieurs associations se sont développées pour contrebalancer l’influence de la NRA sur la société et la politique américaine. Le groupe Moms demand actions a par exemple été créé par une mère américaine après la tuerie de Sandy Hook, qui a eu lieu le 15 décembre 2012 dans une école primaire, causant la mort de 20 enfants.
Il existe également l’Americans for responsible solutions fondée par la députée démocrate Gabrielle Giffords, après qu’elle a échappé à la mort lors d’une fusillade à Tucson en 2011, et le Brady campaign to prevent gun violence, du nom du conseiller de Reagan, James Brady, touché par balle lors de la tentative d’assassinat du Président en 1981. Mais ces groupes ont moins de pouvoir et d’influence que la NRA souligne Joseph Smallhoover, président du groupe Democrats Abroad France.
Un sujet qui polarise les hommes politiques
Aux Etats-Unis, le droit de porter une arme à feu est très vite devenu un sujet opposant des groupes importants de personnes. Il semble impossible qu’il soit abrogé, les citoyens américains étant très attachés à leur Constitution. Mais un nombre important est favorable à un meilleur encadrement de la vente d’armes, selon le Pew Research Center.
En effet, n’importe qui peut, lors de foires aux armes (appelées gunshows) ou sur internet, acheter librement une arme, sans qu’aucun contrôle sur ses antécédents judiciaires ou psychiatriques ne soit effectué. Ce qui s’oppose aux contrôles obligatoires effectués dans les armureries.
Mais plus qu’un sujet de société, le droit de porter une arme apparaît comme un sujet fortement politique avec, de manière un peu caricaturale, les républicains pro-armes d’un côté, et les démocrates favorables à un contrôle des armes de l’autre. Joseph Smallhoover, qui représente les démocrates en France, énonce que le droit de porter une arme « est un mythe qui n’existe pas »
« La littérature, avec The Virginian, le théâtre et le cinéma ont crée un mythe qui a été entretenu par les fabricants d’armes, et certaines personnes qui avaient un programme politique pour pouvoir porter des armes, pour des raisons militaires et conservatrices. »
De son côté, Marc Porter, qui préside le groupe Republicans Overseas France, nous assure que ce droit « fait partie de l’histoire des Etats-Unis depuis [leur] indépendance » et qu’il est important pour les Américains de posséder une arme du fait même de l’environnement naturel du pays :
« La nature est beaucoup plus présente aux Etats-Unis qu’en Europe. Il faut donc porter une arme, car il y a certains endroits où la nature est dangereuse. »
Il ajoute qu’une arme en soi ne serait « pas dangereuse », rappelant le slogan de nombreux partisans des armes, « Les armes ne tuent pas les gens, ce sont les gens qui tuent » (« Guns don’t kill people, people do »), et que le débat sur les armes est devenu un « outil politique pour les démocrates » :
« Les démocrates se servent des sujets impliquant des armes pour créer une division au sein du peuple américain. Ils veulent avoir plus de pouvoir. Mais ils protègent le droit d’expression, Hollywood, la musique rap, qui sont plus violents que les armes. »
L’inaction de Barack Obama VS les futures actions d’Hillary Clinton ?
Après la fusillade dans une boîte gay d’Orlando le 12 juin, plusieurs parlementaires démocrates ont effectué un sit-in au Congrès américain, entre le 22 et 23 juin, pour réclamer un vote sur le contrôle des armes, en vain. Barack Obama a lui aussi essayé au cours des différentes tueries qui ont émaillé son mandat de réformer le droit de porter une arme, comme récemment en janvier 2016, mais sans jamais y parvenir.
Jean-Eric Branaa explique que le processus pour changer un amendement est extrêmement compliqué :
« Il faut que les 2/3 de chaque chambre du Congrès (le Sénat et Chambre des représentants), votent en faveur de changement. Ensuite il doit être ratifié par les 3/4 des Etats. Aujourd’hui, avec une société très partagée entre républicains et démocrates, il est impossible de procéder à changement constitutionnel »
Joseph Smallhoover note que « si après Sandy Hook les Etats-Unis n’ont pas été capable de faire des restrictions, c’est que les forces politiques sont très fortes ». Pour Anne Deysine, qui a « toujours pensé qu’il n’y avait aucune chance pour qu’une loi soit votée », il existe cependant aujourd’hui « un petit espoir avec Hillary Clinton ».
Comme le relève ainsi The Guardian, c’est la première fois que le sujet des armes à feu prend une part aussi importante d’une convention démocrate, Hillary Clinton ayant fait de la régulation des armes à feu l’un de ses principaux sujets de campagne.
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