Vendredi 19 janvier, Jul fêtait ses dix années de carrière en sortant (encore) un nouvel album, “Décennie”. Un vingt-et-unième disque que n’écouteront que les fans, c’est-à-dire beaucoup de monde. Mais qui pose également une question : pourquoi Jul reste-t-il indétrônable ?
L’heure tourne, la conférence de rédaction arrive bientôt à sa fin, on est même un peu en retard. Un dernier tour de table, pour répondre à une question survenue spontanément : “Quel serait l’article de vos rêves ?” J’écoutais les échanges d’une seule oreille, bien trop distrait par l’annonce que je lis sur Instagram : Jul fête ses 10 ans de carrière vendredi, et nous promet qu’il est “en train de voir pour le Vel et le Stade de France !!!”.
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C’est à mon tour de répondre, ça sort tout seul : “une lettre d’amour à Jul”. J’en suis le premier étonné ; le papier est validé. “On a hâte de lire ça…” Peut-être pas une lettre, plutôt un décryptage sur la longévité de Jul, me négocie-t-on. D’accord, mais on en reparlera s’il fait un Stade de France. “Ok, feu !”
L’OVNI
Parmi toutes les références à l’univers Jul, son auto-appellation en tant qu’OVNI (de l’industrie musicale) illustre bien la situation. Qui aurait pu croire que celui qui chantait Sort le cross volé en 2014 (titre qui a d’ailleurs très mal vieilli), deviendrait l’artiste français le plus écouté, année après année, une décennie après l’autre ? Encore plus fort, le rappeur est un artiste indépendant, signé sur le label qu’il a lui-même monté : D’or et de platine (“J’ai pas d’DJ, pas de manager […]/J’fais mon album, pas besoin d’DA/D’or et de platine, c’est en indé, ah” dans Entraînement).
Une liberté dont semble jouir Jul au quotidien. Parce qu’il le veut, il sort six albums gratuits pour remercier ses fans ; parce que ça l’inspire sur le moment, il chante sur l’instrumentale de Barbie Girl de Aqua (sept ans avant le film de Greta Gerwig !) dans My World ; parce qu’il est le boss de l’autotune, il peut chanter “Ce soir, j’te fais l’amour / Sous les étoiles, jusqu’au lever du jour” (Ce soir)… et ça marche. On pourrait multiplier les exemples, l’indépendance avec laquelle il a construit sa musique lui a toujours permis d’accomplir ce qu’il voulait sans faire de concession, mais également de s’essayer à une multitude de styles.
La Machine
Parce qu’entre sa quinzaine de tubes ayant véritablement dépassé la sphère de ses fans (Tchikita, J’oublie tout, Sousou, plus de 100 millions de vues chacun sur YouTube), Jul est tout aussi à l’aise lorsqu’il s’agit d’être plus technique (La zone en personne), de faire des sons capables d’ambiancer un stade (La Seleção), de poser divinement sur de la techno (Bando, en featuring avec Anna), et même de rendre digeste une scène d’un film de Cédric Jimenez (La Bandite dans Bac Nord, avec un enfant arrêté qui insulte la police et leur demande subitement de monter le son de la radio : une percée qui semble réelle dans un film qui le fuit en permanence)…
Grâce à ce don d’ubiquité, il est peut-être le seul chanteur qui ne s’écoute pas comme les autres, avec une sélection de morceaux favoris, que l’on attend de renouveler un vendredi tous les deux ou trois ans, quand sort un nouvel album. Par l’abondance de ses albums, Jul plonge ses adeptes dans un continuum permanent. C’est avant tout un style de vie, une habitude que d’avoir un de ses CD qui pétarade lorsque l’on fait démarrer la voiture.
Tu fais le signe Jul ? Mercé
Identifié dès ses débuts par “le signe Jul” (un génie de marketing à en rendre jaloux n’importe quelle école de commerce) et son inimitable “Mercé”, l’une des principales caractéristiques du rappeur réside dans sa fidélité, depuis dix ans maintenant, à être resté le même. S’il analyse très souvent ce que le succès a pu faire à ses relations et son entourage, il a réussi à rester une star proche de ses fans, apprécié de l’ensemble de la scène musicale, et dont l’image est toujours restée la même.
C’est une qualité qui se traduit étonnamment dans sa musique : écouter une nouvelle musique de Jul n’est jamais dépaysant et ses clips sont toujours tournés à La Puenta son quartier d’origine. Il n’y a pas non plus de virage artistique, ni d’album de rupture… Ce qui ne l’empêche pas de se renouveler pour autant : un album avec des featurings internationaux par ci (Cœur blanc en 2022), un autre avec tous les rappeurs marseillais (13’Organisé en 2020) et sa suite avec l’opposition Paris-Marseille (Le Classico Organisé en 2021)…
Mais ce qui frappe le plus dans la longévité de ce phénomène, c’est sans aucun doute comment Jul a réussi à institutionnaliser des paroles qui, l’air de rien, sont assez radicales. Il est toujours frappant de voir avec une joie non dissimulée des personnes de tous horizons sociaux, chanter “En bande organisée, personne peut nous canaliser/Dans la zone, ça fume la fusée, pisté par les banalisées / […] Le J, c’est le S (ok), hum, j’sors le RS (vroum, vroum)”, comme si l’instant d’un tube massif que personne n’avait vu venir, et les rappeurs les premiers, la France entière devenait une force révolutionnaire anti police.
Aujourd’hui, l’impact de Jul dans l’industrie musicale est évident, indubitable. S’il reste encore des personnes pour rejeter en bloc l’impact ou l’intérêt de sa musique, cela en dit plus sur l’ignorance du premier que sur la musique du second. La question n’est pas tant de légitimer (avec retard) l’artiste, ni de dire “amen” à chacun de ses nouveaux albums. On se contentera de dire mercé à Jul pour ses apports au rap, et de réviser son zumba caféw pour sa prochaine date au vélo’.
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