Par le scénariste de “Philadelphia”, l’histoire d’amour entre deux hommes à travers plusieurs décennies, entre mensonge, peur et passion. Saisissant.
Même si la proportion de personnages gays et LGBTQIA + a augmenté drastiquement dans les séries, toujours rares sont celles qui en font des héros ou héroïnes sur le long cours et suivent un axe de récit voué à leurs problématiques, sans transiger pour autant sur le romanesque. Adaptée du livre de Thomas Mallon paru en 2007, Fellow Travelers possède cette ambition-là, sous la plume du scénariste vétéran Ron Nyswaner – nommé aux Oscars en 1993 pour Philadelphia –, qui traverse plusieurs décennies pour raconter une véritable histoire parallèle de l’Amérique, pleine d’amour et de discriminations.
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Des années 1950 à Washington, au pire de la chasse aux sorcières anticommuniste et homophobe, jusqu’aux années 1980 à San Francisco, en pleine épidémie de SIDA, les huit épisodes suivent en va et vient la relation intense et néanmoins complexe entre deux hommes qui se rencontrent dans les hautes sphères de l’État américain, alors que le sénateur Joseph McCarthy et son acolyte Roy Cohn – qui mourra pourtant du SIDA – traquent littéralement celles et ceux qui ne conviennent pas à la structure familialiste et hétérosexuelle classique. L’Amérique qu’a réveillée Trump est déjà là. Hawkins (Matt Bomer) et Tim (Jonathan Bailey) se rapprochent. Ils vivent une histoire d’abord sexuelle, en se cachant des regards inquisiteurs, avant de ne plus réussir à se détacher vraiment l’un de l’autre, jusqu’à ce que la mort les sépare. Bomer et Bailey sont deux acteurs gays, ce qui n’a rien d’un détail ici, tant ils portent avec force leurs personnages, tout sauf de “simples” victimes.
Jeu de mort et de mensonge
Hawkins choisit de jouer le jeu du patriarcat, en se mariant avec une femme et en allant jusqu’à trahir pour ne pas être découvert. Tim, de son côté, vit longtemps son orientation sexuelle dans la honte, tiraillé entre sa foi catholique et son désir pour les hommes, son amour fou envers Hawkins. Tout cela, dans Fellow Travelers, n’a rien de théorique : la série intéresse non seulement parce qu’elle éclaire sur la violence d’un pays avec ses minorités, mais aussi parce qu’elle met en scène sans retenue les montées de sève de ses personnages, leur attirance physique, leurs jeux sexuels dans un monde qui ne veut pas d’eux. Un jeu de mort et de mensonge se met en place jusqu’au bout, avec des vies sans cesse habitées par le danger, la peur qui paralyse, l’impossibilité d’accomplir son désir, la recherche éperdue d’un espace à soi.
Tout part de là et le spectre peut alors s’élargir sans cesse : aux personnes racisées qui subissent une double discrimination et que la série met en avant avec pertinence à travers la figure d’un journaliste brillant ; aux conséquences que l’homosexualité dans le placard peut avoir sur une famille bousculée par la dissimulation – de ce point de vue, la femme de Hawkins, jouée par Allison Williams (ex-Girls) touche au cœur. Fellow Travelers aurait peut-être gagné à être légèrement resserrée, à ne pas forcément vouloir cocher tant de cases. Mais son ampleur, au bout du compte, force le respect. Dans un même récit, le maccarthysme et l’assassinat de Harvey Milk font sens, comme si une lignée de haine avait façonné un pays. La colère et l’émotion remportent la mise.
Fellow Travelers. Chaque jeudi à 22h30 sur Canal Plus et en intégralité sur MyCanal.
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