Sur un album truffé de reprises et d’hommages, M. Ward sort de la parenthèse She & Him et confirme son statut d’immense songwriter américain.
Le titre de son précédent album avait publiquement établi l’ascendance qu’on devinait entre les lignes depuis cinq albums : avec un disque intitulé Hold Time (“retenir le temps”), M. Ward se faisait héritier légitime et officiel de Proust. Son successeur, A Wasteland Companion, prolonge encore davantage la filiation, en faisant se succéder des chansons envisagées comme des madeleines, capables en une poignée d’accords de réveiller le souvenir d’instants vécus.
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“J’ai composé ce disque sur la route. C’était la première fois que je quittais mon studio de Portland pour me mettre ainsi en danger. Je voulais un recueil de chansons qui sauraient chacune ressusciter des moments de cette période. Je pense que les chansons sont plus fortes encore que les photographies pour ça, qu’elles racontent et réveillent mieux que toutes les autres formes d’art ce qui a existé. Chacun a déjà expérimenté cette puissance : un morceau arrive à vos oreilles et soudain, c’est un moment très précis de votre existence qui ressurgit dans toute son exactitude. Comme avec un parfum.”
M. Ward est aussi intelligent que sa musique est subtile. Dans l’ombre, il a souvent œuvré pour les autres (Cat Power, Norah Jones, Beth Orton…). Il a aussi monté des groupes. Chez Monsters Of Folk, on l’a ainsi aperçu aux côtés de Conor Oberst (Bright Eyes) et Jim James (My Morning Jacket). Au sein du duo She & Him, qu’il forme depuis quatre ans et deux albums avec Zooey Deschanel, on l’a entendu faire de véritables miracles de pop rétro. “J’ai appris de ces collaborations. Zooey a un talent fou et m’a beaucoup influencé. Récemment, elle m’a fait découvrir plus en profondeur l’oeuvre d’Harry Nilsson.”
La chanteuse-actrice participe deux fois à ce nouvel opus, le temps notamment d’une reprise gigoteuse de Sweetheart de Daniel Johnston – un artiste dont M. Ward avait pris l’habitude de revisiter les morceaux sur scène. A ce premier emprunt, il faut ajouter une interprétation détonante de I Get Ideas, un morceau espagnol popularisé par Louis Armstrong. “Il est une de mes plus grandes influences depuis que j’ai 10 ans. Sa voix est souvent dans ma tête… Même si je sais qu’il ne me parle pas vraiment. Pour la simple raison qu’il est mort…” (rires)
Chanson-hommage cette fois, Clean Slate a été composée pour Alex Chilton. Ballade d’orfèvre folk à la finesse digne de son groupe Big Star, elle ouvre le disque avec grâce. “Plus qu’une chanson dédiée à Chilton, c’est une chanson dédiée à l’une des siennes, The Ballad of El Goodo. Je l’écoutais beaucoup quand il est mort, alors j’ai voulu m’en inspirer.”
Parce que M. Ward a écrit la majorité de ses titres en tournée, A Wasteland Companion a le charme particulier d’un road-movie. C’est un disque avec des temps forts et des trêves, de jolies longueurs (The First Time I Ran away) et de vrais instants d’excitation (Primitive Girl). Au niveau sonique, cet album inspiré par le Neil Young de Journey through the Past – encore un titre sapé pour Marcel Proust – conjugue le charme des maquettes (A Wasteland Companion) au savoir-faire d’un guitariste qui s’impose de jouer de la musique tous les jours depuis ses 14 ans (Watch the Show). Et qui bénéficie ici de la contribution de quelques amis très fréquentables croisés au gré de ses déplacements (Howe Gelb du groupe Giant Sand, l’Anglais John Parish…).
“Au final, c’est un disque que j’aime considérer comme moitié-live, moitié-studio. Live car il a en grande partie été fait sans le confort habituel. Quand vous passez trois ans loin de chez vous, vous apprenez à dissocier ce dont vous avez besoin dans la vie de ce que vous pouvez laisser derrière vous. Etre sans cesse en tournée, ça revient à vieillir : vous prenez conscience de ce qui a une vraie valeur et vous apprenez à renoncer à certaines choses.”A Wasteland Companion, qui emprunte son titre à un poème de T.S. Eliot, se ferme sur une ballade parfaitement nommée, Pure Joy. Une comptine portée par des chœurs discrets et que M. Ward chante avec une délicatesse devenue rare depuis la mort d’Elliott Smith. La chanson, en moins de trois minutes, répond parfaitement aux critères de sa définition d’une bonne chanson.
“Une bonne chanson doit pouvoir être interprétée de plusieurs façons. Quiconque l’écoute doit pouvoir ressentir une connexion particulière avec elle, mais qui sera différente de celle que ressentira son voisin ou son ami.” Que vos voisins et amis soient prévenus, les connexions seront de toute beauté.
Concerts : le 17 juin à Clermont-Ferrand, le 30 à Evreux
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