Avec cette version musicale de sa comédie culte des années 2000, Tina Fey peine à renouer avec la fraîcheur comique du premier film et se contente de célébrer son propre mythe.
Le projet intriguait autant qu’il pouvait inquiéter : pourquoi Tina Fey avait-elle besoin d’une version cinématographique de sa comédie musicale de Broadway, elle-même adaptée de son film culte des années 2000 avec Lindsay Lohan ? Bien sûr, cet auto-engendrement a tout d’un coup marketing bien huilé, mais une partie de nous avait envie de croire à cette réactualisation musicale de cette version adolescente de la lutte des classes.
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Très fidèle à la trame originale, Mean Girls nous replonge donc aux côtés de l’ingénue Cady Heron, qui découvre les affres de la vie lycéenne américaine après avoir vécu son enfance au Kenya. Rapidement, un territoire hostile se dessine, stratifié en plusieurs clans, voire castes, sur lesquels trône celui des Plastiques, les filles populaires menées par la terrible Regina George. Avec ses deux amis marginaux, Cadie se lance dans un vaste projet de coup d’État : intégrer les Plastiques pour mieux les détruire de l’intérieur.
Sensationnalisme pop et auto-célébration
On comprend rapidement que ce Mean Girls version 2024 cherche à redoubler la mythologie adolescente par son propre mythe : lorsque Regina George entre dans la cafétéria, elle n’est pas seulement la fille la plus populaire du lycée mais elle aussi ce personnage devenu culte du premier film. Malheureusement, le remake se prend les pieds dans cet auto-référencement et perd la fraicheur comique de l’original, comme en atteste par exemple la reprise de la scène culte où Regina se fait soudainement renverser par un bus. Dans le film original, la dispute entre Cadie et Regina jouait astucieusement du champ-contrechamp et de l’espace pour nous faire pressentir un accident, jusqu’à ce que celui-ci advienne de manière beaucoup plus brutale qu’attendu et coupe court à la conversation. Ici, un ample travelling arrière se désintéresse de la confrontation et préfère filmer en plan large une foule de danseurs jusqu’à l’arrivée (beaucoup moins surprenante) du bus. Sans la précision du découpage original, le gag tombe à plat.
Avec une forme de sensationnalisme pop, la dimension musicale du film se révèle in fine incompatible avec l’humour plein de méchanceté de l’original. Si les séquences les plus drôles sont rejouées sur un mode spectaculaire, elles perdent ici la rigueur de leur construction comique, comme si la simple évocation du souvenir d’un gag pouvait suffire à nous faire rire de nouveau. Par ces séquences clipesques, toutes plus intenses les unes que les autres, ce remake semble ainsi s’adresser principalement aux fans du premier film et ne vise finalement rien d’autre que la célébration de son propre mythe.
Une mise à jour ratée
Outre la reprise des moments les plus saillants du film de 2004, ce remake se devait également d’actualiser sa représentation de la vie adolescente à l’heure de l’avènement des réseaux sociaux et d’Internet. Sur ce point, les réalisateur·ices Samantha Jayne et Arturo Perez Jr. ne manquent pas d’intégrer bon nombre de séquences filmées avec des smartphones et de multiplier références à Twitter et Instagram. Mais à nouveau, ces signes du contemporain ne sont jamais réellement envisagés dans leur potentiel humoristique et sont plutôt brassés dans un montage épileptique attendu qui figure la manière dont les modes et rumeurs lycéennes deviennent virales. Même le film de 2004 se révélait beaucoup plus précis dans sa manière d’intégrer la technologie dans son écriture comique (on se souvient par exemple de séquences au téléphone, où le split-screen investissait les fonctionnalités de l’appareil pour créer des quiproquos réjouissants), si bien que cette nouvelle version semble être assez représentative d’une perte d’inspiration à Hollywood, où il devient bien difficile d’écrire une scène humoristique lorsque celle-ci ne relève pas d’une blague méta et autoréférencée (tendance confirmée récemment par Barbie ou même les films Marvel).
Étrangement, le film renoue parfois avec une forme de premier degré, notamment dans son épilogue où les personnages s’adressent directement aux spectateur·trices pour énoncer très explicitement la morale du film. Toute la contradiction de ce remake se joue ici : alors qu’il participe pleinement d’une logique de fétichisation d’un produit culturel, il semble paradoxalement embarrassé par la cruauté de son prédécesseur et finit par s’excuser de son propre humour. Au lieu de chercher à l’arrondir et le lisser, on se dit alors que Tina Fey aurait mieux fait de renouer avec la promesse initiale de son titre, car c’est bien cette méchanceté adolescente qui faisait le sel de Mean Girls.
Mean Girls : Lolita malgré moi, de Samantha Jayne et Arturo Perez Jr., scénario de Tina Fey, en salle le 10 janvier
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