Dans “Making of” de Cédric Kahn, il incarne un wanabee cinéaste fiévreux et passionné avec une ferveur impressionnante. Rencontre avec un jeune acteur extrêmement talentueux.
Il était l’élément le plus drôle, le plus saillant, du Peter Von Kant de François Ozon (2022), l’adaptation avec inversion de genre de la pièce de Rainer Werner Fassbinder, Les larmes amères de Petra Von Kant. Il y incarnait Karl, l’assistant multitâches du personnage éponyme, un réalisateur à succès et tyran domestique, dont le jeune homme subissait sans ciller les mouvements d’humeur les plus brutaux.
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Dans ce rôle entièrement mutique, Stefan Crepon n’avait pour jouer que sa silhouette (burlesque, d’une cocasserie incessante) et ses yeux (écarquillés, comme en permanence effarés devant tant de folie déchaînée autour de lui et à laquelle il n’opposait qu’un silence éloquent).
Métamorphe
L’écart est grand entre le personnage androgyne et tout en rétention de Peter Von Kant et le jeune homme impétueux et volubile qu’on retrouve dans Making of de Cédric Kahn. Cette fois, Stefan Crepon incarne un jeune homme de province, coincé dans la petite entreprise de restauration familiale et désireux de devenir réalisateur. Un coup du sort le met en situation de réaliser le making of du nouveau long métrage d’un cinéaste qu’il admire.
La succession des deux emplois, dans lesquels il s’avère aussi pleinement convaincant, paraît presque une démo des aptitudes métamorphes assez impressionnantes du jeune comédien. Mais dans quel exercice Stefan se sent-il le plus à son aise ? L’introversion ou la fougue ? “Les deux ont été extrêmement agréables à jouer. Dans le film de François (Ozon), je pouvais me permettre de composer à la mesure de la stylisation visuelle du film. L’esthétique est anti-naturaliste. D’ailleurs, j’ai vraiment trouvé le personnage aux essais costumes et maquillage. Karl est vraiment défini par son apparence, c’est une ligne et tout le reste, mon mode de déplacement, mon jeu, sont dictés par cette ligne. Making of est un film beaucoup plus proche du réalisme. Le jeu doit être plus naturel. Et le personnage de Joseph est aussi beaucoup plus proche de moi. C’est un jeune homme qui a une passion et qui ne se voit pas vivre sans pouvoir l’exercer. Il est confronté à une incertitude, celle d’y parvenir, et se bat avec le sentiment d’illégitimité. C’était pas très dur de se projeter…”, ajoute le jeune comédien en souriant.
Des acteurs admirés
S’il y a du Stefan dans Joseph, n’y a-t-il pas aussi beaucoup de Cédric (Kahn) ? “Oui bien sûr. D’ailleurs je lui ai dit que dans le film j’avais l’impression de le voir deux fois. Une fois au présent, en cinéaste accompli, interprété par Denis Podalydès, et une fois au passé, à travers mon personnage”. A-t-il alors sur le tournage essayé de prendre des choses à Cédric Kahn, de s’inspirer de sa façon de parler, de son être-au-monde… ? “Non pas vraiment. Je me suis surtout appuyé sur un sentiment du personnage – que Cédric avait bien connu, lorsqu’à mon âge il était assistant de Yann Dedet (grand monteur du cinéma français, ndlr) ou de Maurice Pialat – et qui consiste à pouvoir approcher dans le cadre du travail des artistes qu’on a tant admirés”.
On demande alors à Stefan Crepon à quelle occasion cela lui est arrivé et il parle immédiatement de son partenaire dans Making of, Denis Podalydès. “Je l’ai beaucoup vu au théâtre. Le Cyrano qu’il a mis en scène, avec Michel Vuillermoz, a été une expérience très marquante. J’étais adolescent et j’ai compris que jouer pouvait être beaucoup plus que la récréation du mercredi après-midi qui était la mienne depuis que j’avais douze ans. En sortant de la salle, j’ai demandé à ma mère si ces gens qu’on venait de voir faisaient ça pour vivre, si c’était leur travail. Elle m’a dit oui et je me suis dit : ‘OK, alors ça va être ça mon travail’”. Parmi les autres acteurs qu’il a admirés et avec qui il a joué, il cite aussi son partenaire de Peter Von Kant, Denis Ménochet. “Comme beaucoup de gens, je l’ai découvert dans Inglourious Basterds et il m’a sidéré. J’ai été renversé par sa précision, sa justesse mais aussi son animalité, sa force. Je l’ai ensuite adoré dans Jusqu’à la garde, Je me suis fait tout petit ou Grâce à Dieu”.
“il y avait une énergie, une vitalité chez les acteurs”
Après un passage très bref en fac de droit, Stefan suit les cours Florent, puis entre au Conservatoire. Alors qu’il est en première année, il est engagé dans Le Bureau des légendes saison 4, où il interprète un jeune technicien informatique. La connaissance du cinéma lui a été transmise par ses parents, très cinéphiles. “Mais on ne regardait pas beaucoup de films français, ni de films américains. Mes parents m’ont surtout fait découvrir le cinéma italien, Fellini, Visconti, Comencini, les grandes comédies. Et aussi le cinéma japonais. Adolescent, j’ai vu quatre ou cinq fois Les Sept samouraïs de Kurosawa. Ma mère, d’origine moldave, m’a aussi initié au cinéma russe, les films post-Perestroïka. J’adore Soleil trompeur de Mikhalkov. Le cinéma américain, je le voyais plutôt quand j’allais dormir chez mes copains. Et le cinéma d’auteur français, je l’ai découvert par moi-même un peu plus tard, vers la vingtaine, Sautet, Pialat… Un de mes plus grands chocs, à l’âge de 15 ou 16 ans, a été La Haine. Je l’avais piraté et chargé dans mon iPod touch et j’ai dû le regarder une cinquantaine de fois. Dont au moins trente fois pendant mes cours au lycée. Je mettais l’iPod dans ma trousse, je cachais un écouteur dans ma manche et je revoyais le film, fasciné. Pourtant, c’était déjà un film assez ancien, mais il y avait une énergie, une vitalité chez les acteurs que je n’avais jamais encore vue au cinéma.”
Depuis Making of, Stefan Crepon n’a pas cessé de tourner : une série en Angleterre dont il n’a pas encore le droit de parler, un premier long métrage de Simon Bouisson dans lequel il a retrouvé Cédric Kahn cette fois comme partenaire de jeu et le nouveau film de Delphine et Muriel Coulin (17 filles, Voir du pays) adapté d’un roman de Laurent PetitMangin, Ce qu’il faut de nuit. Dans ce dernier film, il interprète le fils de Vincent Lindon, qui est aussi “un de ses acteurs que j’admire longtemps et que j’ai eu la chance de rencontrer dans le travail. Il ne m’a pas déçu”.
Making of de Cédric Kahn avec Stefan Crepon, Jonathan Cohen – en salle le 10 janvier
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