Doublement récompensé, le film de Justine Triet affermit son statut de challenger aux Oscars, bien que l’alpha “Oppenheimer” risque de balayer ses espoirs de récompense suprême.
Il en fallait un peu plus pour démolir les Golden Globes, passés ces dernières années sous les fourches caudines pour une série de scandales mêlant racisme et corruption et mettant en cause la cryptique Hollywood Foreign Press Association, l’organisation en charge de la cérémonie. Privée de diffuseur, boycottée par les stars les plus puissantes du métier, l’antichambre des Oscars a senti le souffle du boulet, mais sa refonte totale, avec extension du collège de votant·es et reconfiguration du modèle afin d’endiguer les dérives passées, a, semble-t-il, porté ses fruits.
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Nécessaire rédemption
En réalité, la raison est sans doute plus cynique : Hollywood ne peut pas se permettre de censurer un tel levier de marketing dans un contexte aussi alarmant. L’exercice 2023 s’achève sur un manque à gagner de 2 milliards comparé aux niveaux d’avant-Covid, en partie imputable aux grèves hollywoodiennes, mais peut-être plus gravement à un déclinisme de fond. La saison des cérémonies doit voler à la rescousse d’une industrie famélique.
C’est dans ce paysage quelque peu morose que se déploie la success story d’Anatomie d’une chute. La Palme d’or enchaîne depuis plusieurs semaines les triomphes dans des galas du second cercle dont les noms ont tendance à se mélanger dans nos têtes (encore un carton plein pour Justine Triet aux Independent Gotham Film Critics New York Awards !), pavant la voie de ce que tout le monde ici, à part Rima Abdul Malak et le comité de sélection du film international du CNC, espère de tout cœur : un Oscar, voire plusieurs, voire le plus important de tous, celui du meilleur film.
Pour Barbie, finie la vie en rose
Le conte de fées se poursuit ce soir avec deux statuettes (film international et scénario original – la catégorie où le film a ses meilleures chances), mais voit tout de même se dresser devant lui des concurrents-mastodontes, au premier rang desquels Oppenheimer, qui repart avec cinq statuettes de première importance, dont celle du meilleur film dramatique. Deux meilleurs acteurs (Cillian Murphy, Robert Downey Jr.), un meilleur réalisateur et un meilleur compositeur finissent d’asseoir la puissance de feu du blockbuster historique de Christopher Nolan, qui si la légendaire capacité prédictive des Golden Globes n’est pas démentie, devrait logiquement tout rafler le 11 mars prochain.
Le camouflet est donc sévère pour son grand rival girly de l’été, Barbie, qui ne profite même pas de la subdivision en comédie et drame de la cérémonie pour s’offrir un parcours vaguement parallèle. Le film de Greta Gerwig est doublé dans les catégories de prestige, par Anatomie d’une chute pour le scénario, par Poor Things pour le meilleur film et la meilleure actrice – une catégorie où même la gagnante en catégorie comédie Emma Stone devrait sans doute céder l’Oscar à son homologue dramatique, Lily Gladstone, majestueuse dans Killers of the Flower Moon et tout aussi impériale dans son discours de remerciement, où elle n’a semble-t-il fait aucun cas de la limite dictatoriale de temps, l’air de défier quiconque oserait couper la première actrice à parler blackfoot sous ces dorures. Même la victoire la plus notable de la poupée Mattel a une dimension humiliante, réduisant quelque peu durement le film à sa vocation commerciale : un tout nouveau “Box Office Achievement” évoquant feu notre César du public et où ses concurrents s’appelaient Mario ou Les Gardiens de la galaxie.
Une édition un peu boiteuse
Côté séries, c’est Succession qui rafle un autre bras de fer : celui qui l’opposait à The Crown au titre de grand feuilleton dramatique de l’époque sur le pouvoir et ses aliénations. La partie était déjà virtuellement remportée, la dernière saison de la première ayant été un des temps les plus forts de 2023 quand celle de la seconde s’est plutôt fait poliment oublier en fin d’année. Kieran Culkin s’est fendu d’un des rares discours quelque peu habités de la nuit, dans un mélange de fausse morgue, de roublardise staccato et d’émotion réprimée qui est bien le sien avant d’être celui du personnage de Roman Roy. Acharnés et The Bear complètent, à trois points chacun, le podium sériel, actant notamment la toute récente consécration de Jeremy Allen White en sex symbol à qui il ne reste plus qu’à tout conquérir.
Une drôle d’absence reste à relever : celle de Ricky Gervais, tout premier récipiendaire d’un Golden Globe du meilleur spectacle de stand-up (dans une année, il faut le dire, vraiment pas folichonne) que n’est donc même pas venu chercher l’ancien maître de cérémonie – remplacé par un inconnu au bataillon recruté et dernière minute après une probable cinquantaine de refus, et dont on retiendra moins le nom. Symptôme s’il en est d’une cérémonie qui, si elle a bien vu revenir suffisamment de déités (Oprah, Meryl Streep, DiCaprio, et même Thierry Frémaux, cocorico !) pour se réaffirmer en grand raout du star system, fait néanmoins encore très peine à voir sur le plan de l’intérêt télévisuel et de la comédie, ce qui risque tout de même de se ressentir dans les audiences.
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