Créée en 1991, l’unité de prévention urbaine a survécu aux alternances politiques. Ses policiers, chargés de collecter des renseignements doivent éviter toute effusion de violence urbaine – et travailler à l’abri des médias.
« L’UPU, c’est le meilleur au milieu du pire« , lance tout de go Serge Supersac. Cet ancien commandant de police, devenu, il y a deux ans, chercheur associé à l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux d’Aix-en-Provence (ORDCS), a publié, en décembre dernier, une étude* consacrée à l’Unité de prévention urbaine (UPU). Cette unité, créée en 1991 à Marseille, compte seulement une dizaine de policiers, tous volontaires. Des « îlotiers des temps modernes » qui patrouillent en civil et sans arme. Leur mission, mieux comprendre le fonctionnement des quartiers populaires, recueillir les attentes de la population et prévenir toute effusion de violence.
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La création de cette unité serait due à « un concours de circonstance« , explique le chercheur. En 1991, les épisodes de violences urbaines préoccupent de plus en plus le gouvernement socialiste. Philippe Marchand, le ministre de l’Intérieur de l’époque s’engage donc au retour de la police de proximité et cible les quartiers les plus sensibles. À Marseille, le directeur départemental de la sécurité publique ne croit pas à cette politique sécuritaire. Il se contente donc de demander au commandant du secteur nord de trouver quelques volontaires pour faire de l’îlotage pendant quelques mois, le temps que le gouvernement se lasse et passe à autre chose. Le chef du secteur nord qui vient de vivre quelques épisodes de violences urbaines saisit cette occasion pour lancer un dispositif innovant. « Il dépêche deux officiers et leur dit: ‘trouvez un dispositif pour que l’on soit meilleur‘« , rapporte Serge Supersac. Les deux flics réfléchissent quelques mois et se disent: « Au lieu d’envoyer quelques gardiens de la paix nez au vent pour juste être visible, on va déshabiller un certain nombre de policiers pour qu’ils fassent du renseignement opérationnel. »
« Les mieux informés »
Selon Serge Supersac, « ce sont les policiers les mieux informés de Marseille« . Et les plus discrets aussi. La Direction départementale de la sécurité publique des Bouches-du-Rhône a refusé notre demande de reportage et d’interview au motif qu’elle préférait médiatiser d’autres unités. Etonnant au vue des dernières déclarations du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, dans la presse. « C’est vrai que Marseille est un enjeu pour moi. [….] C’est une guerre de l’Etat contre la barbarie« , a-t-il confié au Journal du Dimanche. Un « enjeu » qui a conduit le ministre à envoyer, dans l’urgence, deux cents policiers et gendarmes de plus à Marseille. Parmi eux, aucun n’a agrandit les rangs de l’UPU.
« Il est surprenant que le cabinet de Valls ne mette pas en avant quelque chose qui fonctionne. L’UPU est une solution que personne ne connaît, s’agace Serge Supersac. Il y a quarante ans, des gens ont misé sur le tout judiciaire pour combattre la délinquance et les violences urbaines. Ils se sont trompés de stratégie mais ils n’ont pas envie de se remettre en question. Aujourd’hui, c’est beau de taper du talon et de dire que cette violence est inacceptable mais le ministre continue à faire ce qui ne fonctionne pas« . À ce jour, le ministre de l’Intérieur n’a toujours pas répondu à notre demande d’interview.
« On les voit moins qu’avant »
Dès le départ, les policiers de l’UPU sont accueillis en « libérateur« . Ces superflics réussissent à créer une relation de confiance avec les acteurs des quartiers: associations, commerçants, habitants, élus. « En se promenant, ils ont une révélation, ils réalisent à quel point la population est en attente d’écoute et ils comprennent que c’est une mine d’information« , indique Serge Supersac. Leur mission, régler « toutes les petites choses qui semblent anodines mais [qui] créent des tensions« . Si un bailleur social n’entretient plus les parties communes d’un immeuble, ils lui secouent les oreilles, si une mère célibataire ne sait plus quoi faire de son adolescent, ils la mettent en lien avec une association, si un point deal rend la vie impossible aux habitants, ils tentent de dissuader les revendeurs. « Ils peuvent solliciter les services sociaux, municipaux ou leurs collègues de la police judiciaire. Quand il faut casser un point deal, ils choisissent le service le plus adapté« , détaille le chercheur.
Le dispositif fonctionne si bien qu’en 1992, on confie à l’UPU toute la ville et en 1996, l’ensemble du département. Aujourd’hui, « chaque policier couvre grosso modo deux arrondissement et deux circonscriptions« , explique Serge Supersac. Un territoire immense pour une toute petite unité. Mais selon le chercheur, l’UPU règle la question des effectifs de police. « À onze, ils réussissent à remplir leur mission car ils entretiennent leur réseau« , soutient-il. « À l’époque, l’UPU, c’était fabuleux. Ils utilisaient l’info à bon escient, leur objectif était d’apporter un mieux au quartier« , estime Kamel Bessaa, responsable de l’association « Info à gogo » et contact privilégié de l’unité. Si l’éducateur parle au passé, c’est que, selon lui, ces policiers « manquent de moyens« . « On les voit moins qu’avant, ils participent moins aux matchs« . L’éducateur fait référence à ces matchs de foot qui réunissent, depuis de nombreuses années, policiers et jeunes des quartiers. En revanche, afin d’améliorer la relation police/population, l’UPU organise toujours des rencontres avec les jeunes. Ces réunions leur permettent de leur expliquer quels sont leurs droits et leurs devoirs face à des policiers.
Politique du chiffre
Pour Kamel Bessaa, « certains policiers ont peur d’aller dans les quartiers car ils ne connaissent pas le terrain, ce n’est pas le cas de l’UPU. Ces flics ont une sensibilité particulière« . Michel Bourgat, adjoint au maire de Marseille, en charge de la prévention de la délinquance de 2001 à 2008, renchérit: « L’UPU est une vraie définition de ce que doit être la police de proximité. Ils comprennent les tensions et les préoccupations des habitants. Ils permettent à coup sûr d’aller là où il y a des tensions et ils savent les désamorcer. » « C’est la seule unité qui ne soit pas soumise à la politique du chiffre. Ces policiers sont dévoués, motivés. Ils font un super boulot« , estime, de son côté, Marc La Mola, policier marseillaise
En cas d’incident, l’UPU active ces relais pour vite désamorcer les tensions. « En 2005, quand la plupart des banlieue flambent, à Marseille, il ne se passe rien. Les policiers de l’UPU sont sur le terrain avant les incendiaires« , insiste Serge Supersac. En 2007, l’unité évite une autre flambée de violence après la mort de Nelson, fauché à 14 ans par une voiture de police qui conduisait trop vite. Le ton monte rapidement dans la cité, certains veulent s’en prendre aux forces de police. L’unité intervient au près de la famille, la met en contact avec la mairie qui paye les obsèques et aide à organiser une marche blanche, encadrée par la police. Selon le chercheur, l’UPU aurait également joué un rôle déterminant lors de la mort d’un adolescent de 19 ans, en février dernier. Le policier, ivre au moment des faits, a tiré sur le fumeur de cannabis dans une épicerie des quartiers nord. Sans vouloir en dire trop sur le rôle joué par l’unité, Serge Supersac affirme que l’UPU a su évaluer les risques et prendre des mesures efficaces pour éviter l’embrasement du quartier. « Le nouveau directeur départemental [Ndlr: Pierre-Marie Bourniquel] vient de comprendre à quoi servait l’UPU« , dit-il.
Assistante sociale
Michel Bourgat est tellement « convaincu » de l’utilité de l’unité qu’il n’a pas hésité, en 2002, à demander audience à Nicolas Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, pour protéger cet ovni de la police. Il craint que certains policiers veuillent se débarrasser de l’UPU. Reçu par un membre du cabinet du ministre, l’élu marseillais explique alors que l’unité est « un excellent moyen pour déconnecter les tensions avant qu’elles explosent. » « Ils ont dû me croire puisque l’UPU n’a pas été supprimée« , s’enorgueillit l’adjoint.
Selon Serge Supersac, l’unité a toujours été davantage soutenue par des éléments extérieurs à la police que par l’institution elle-même. Ces policiers sont souvent considérés par leurs collègues comme des assistantes sociales. « La hiérarchie ne valorisent pas du tout la relation avec la population, dire à un policier qu’il fait du social, c’est l’insulte suprême« , explique l’ancien commandant de police. Mais les plus éclairés respectent leur travail. « Ils savent que ce sont les seuls à pouvoir intervenir dans les quartiers à n’importe quel moment en civil et sans armes. »
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