Le réalisateur de “L’Orphelinat” signe un ambitieux film de survie alternant réussites éclatantes et trop longues plages de vide.
Une catastrophe reconstituée présentant un colossal défi de mise en scène ; un groupe d’humains respectables mis à l’épreuve d’une situation de survie extrême ; un soupçon de monstruosité confinant au gothisme ; un lourd secret hantant invisiblement un lieu reclus : il y avait dans la célèbre histoire du crash du vol Fuerza Aérea Uruguaya 571, et des deux mois de survie cannibale qui s’ensuivirent au beau milieu de la cordillère des Andes pour la vingtaine de jeunes rugbymen qui en réchappèrent, quelque chose de furieusement bayonien, expliquant sans difficulté pourquoi le protégé de Guillermo del Toro se rua en 2012 sur les droits d’un énième livre-enquête consacré à la tragédie. Probable candidat espagnol à l’Oscar du meilleur film étranger, le film aura patienté une décennie (et une intronisation de son réalisateur dans le blockbuster de gros calibre) pour finalement se monter dans une production très ambitieuse grâce à Netflix.
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Juan Antonio Bayona y fait montre d’un côté d’une maestria virtuose sur les points de force du film, qui n’est pas seulement de la réussite technique mais relève d’une véritable inspiration de mise en scène ; et par ailleurs d’une perte regrettable de relief sur la longueur, le film s’égarant dans une forme très convenue de drame adapté-de-faits-réels à voix off pontifiante, n’effleurant que du bout de son académisme les zones d’ambiguïté et de clair-obscur qui auraient dû faire son sel.
Chape du conformisme
Le Cercle des neiges a pour lui principalement deux scènes. La première est celle du crash, fabuleuse d’horreur, de précision, empreinte d’une sorte d’hyperréalité qui semble pénétrer dans les entrailles d’un instant, en contenir toutes les échelles et tous les principes de mouvement, le flottement, la chute, le plané, l’écrasement, le choc mythologique de l’avion contre la montagne, le broiement anatomique de la cheville, dans un seul mouvement d’une limpidité totale, panoptique.
La seconde est la première scène de cannibalisme, à laquelle Bayona donne une teinte subtilement gothique et mystique, qui tient à la fois au rouge menaçant du soir, au point de vue adopté (celui d’un réfractaire à cette extrémité, qu’il observe avec horreur depuis l’épave de l’avion au travers d’un hublot), au défilé cérémoniel des survivants se résignant un à un à rejoindre les anthropophages à l’extérieur comme des fidèles à l’hostie – analogie eucharistique que les survivants reprendront d’ailleurs pour justifier leur geste.
Entre ces pics, le film ne se départit jamais d’un certain trouble mais qui reste la plupart du temps à l’état d’énergie potentielle, peinant à vraiment se faire jour sous la chape du conformisme. Bayona ne trouve pas vraiment de prise saillante sur les événements, s’accrochant à un personnage incarnant une forme assez ennuyeuse d’autorité morale, et entouré d’une communauté de survivants quasi interchangeables. Il a très manifestement entraperçu le chef-d’œuvre à tirer de ce drame, à savoir un film qui regarderait ces deux mois de survie comme une sorte de traumatisme sexuel, mélange indissociable d’horreur et de libération des pulsions. Le cannibalisme y revêt l’apparence d’un secret masculin presque homoérotique, le tabou étant d’ailleurs levé immédiatement après la mort de la dernière femme. Mais c’est, hélas, un film qu’on restera essentiellement condamné à fantasmer.
Le Cercle des neiges, de Juan Antonio Bayona, disponible sur Netflix le 4 janvier
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