Féconde et particulièrement réjouissante, la scène alternative tricolore a achevé de rythmer l’année 2023, accueillant en son sein des groupes plus audacieux les uns que les autres. Voici un panel, non exhaustif et un brin subjectif, de ceux qui ont gagné notre cœur (et nos oreilles).
En Attendant Ana
En quête de branches tangibles auxquelles se raccrocher, En Attendant Ana s’en est remis, cette année, à ce qu’ils et elles savent faire de mieux. Ainsi est sorti Principia, en février, un troisième album aux couleurs pop-rock, juvénile et dansant – avec ce qu’il faut de nostalgie. Un titre directement emprunté à l’essai de Newton du même nom – dans lequel le physicien théorisait la loi universelle de la gravitation – et qui s’est imposé tout naturellement au groupe au gré des lectures scientifiques de sa chanteuse, Margaux.
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Sorti sur le label Trouble in Minds, Principia a emmené le quintet parisien de Roubaix à Los Angeles, parcourant ainsi les routes françaises, américaines, anglaises comme allemandes, tout au long de l’année 2023. Voilà qui a sans doute marqué le début d’un virage plus abouti pour le groupe formé huit ans auparavant, insufflant jusqu’à l’international leur liberté enthousiaste. Eux attendent Ana, nous, on attend impatiemment la suite de leur périple.
Ottis Cœur
Avec Léon, Ottis Cœur désamorçait d’emblée : pas question de mener une vie bien rangée, ni de se plier à des schémas de vie insipides – enfants et “labrador couleur vanille”. Pas question, non plus, de se satisfaire de relations en demi-teinte avec des partenaires peu attentifs et adroits. Cet EP, sorti cette année via Howlin’ Banana Records – illustre label montrant un certain talent pour déceler le meilleur du rock indé –, a permis au duo d’afficher une plume à l’humour délicieusement féministe, empreinte d’un sarcasme bienvenue.
“T’es vraiment le pire des coups / Ouvre un livre j’ai pas le temps de t’instruire / Tu t’y prends si mal, comment te le dire autrement”, chantent Margaux et Camille dans Jamais je ne viens, de leurs voix suaves qui ne tardent à s’échauffer. Un hymne des mauvais coups succédé d’envolées ô combien savoureuses, sur tout l’EP, de “Léon, tu n’es qu’un con” à “Je n’aime pas le son de ta voix.” Rejointes cette année par une batteuse, c’est à trois que les Parisiennes ont écumé les scènes, balayant d’un revers de main ce qui resterait d’aigreur ou de misogynie. De la France jusqu’à la Roumanie.
MNNQNS
MNNQS, “main keens”. Une prononciation qui ne s’en remet à aucun hasard, tant le quatuor rouennais s’est élancé à toute vitesse sur la scène alternative, agitant les passions autant que les foules. Depuis 2018, rien (mais vraiment rien) n’a obstrué leur passage. Pas même le Covid-19 et ses confinements successifs, période étrange durant laquelle Adrian d’Epinay (chant), Felix Ramaën (basse), Hugo Van Leene (guitare) et Grégoire Mainot (batterie) se sont affairés à composer The Second Principle, un deuxième album dont la version étendue est sortie cette année. Un alliage de dix-sept titres (!) au gré desquels le groupe a nourri son post-punk de nouvelles textures sonores, à renfort de synthétiseurs analogiques ou modulaires, envoyant valser les redondances “couplet / refrain”.
En 2023, ils ont écumé les scènes canadiennes, allemandes, italiennes, roumaines, néerlandaises, portugaises, autrichiennes, croates… Et ont même traversé la Manche en s’offrant un passage sur les ondes de la BBC. Sans pour autant oublier leurs origines, eux qui ont retroussé les manches pour défendre le réseau des Scènes de Musiques Actuelles, prenant part au mouvement #SMACFOREVER. Des gars bien, en somme.
Pop Crimes
Tout un symbole. Pour le titre de son premier album, Pop Crimes a choisi la polysémie de Gathered Together. “Rassemblés ensemble”. Un pléonasme pour dépeindre la complicité que partagent les quatre compères, lesquels ne se sont que très peu quittés au gré d’une année 2023 truffée de nouveautés. Aussi pour évoquer, subtilement, leurs expériences musicales d’hier – achevées ou non – qui ont nourri l’identité indie de Pop Crimes. En 2019, Romain Meaulard disait au revoir à En Attendant Ana, Morgane Poulain à Blondi’s Salvation, tandis que Nicolas Pommé rejoignait l’aventure en plus de son groupe initial Young Like Old Men, suivi de Quentin Marques.
Plus mûrs et prêts à ne plus tomber dans les écueils du passé, les Parisien·nes sont parvenus à façonner un son noisy et dansant à souhait, fruit d’heures passées en studio à expérimenter tel ou tel effet. Les guitares y grondent parfois, brumeuses comme acérées, les textes ont la saveur des jours heureux (No More Cryin’, My Friends, Orange Juice, Nothing Has Changed). On y entend la chaleur du Sud, où ils étaient justement en résidence cet été pour préparer la rentrée. “On vous donne rdv en 2024 avec des nouveautés à vous annoncer”, écrivent-ils sur la toile. Prêts à continuer.
eat-girls
Ces trois-là ouvraient les précédent·es à La Boule Noire, au début du mois de décembre. Formé à Lyon à l’aube des années 2020, eat-girls a d’abord rassemblé Amélie Guillon et Elisa Artero : l’une aux synthés, l’autre à la guitare et au chant. Avant d’accueillir Maxence Mesnier et sa basse, un an plus tard, lequel a avivé la teinte post-punk du projet. Les boîtes à rythmes y martèlent la mesure, impulsant des couleurs musicales non sans rappeler la new wave des 70s, le tout dans une esthétique arty bienvenue.
Si cette année, le groupe n’a servi que très peu (voire pas du tout) à manger en termes de sorties, il a vogué de scène en scène dans l’hexagone, et s’est même octroyé un petit détour au Luxembourg et en Allemagne. Plus bruitiste en live qu’en studio (ce qui n’est pas pour nous déplaire), leur son a même résonné en première partie d’Agar Agar en avril, au cœur de leur ville-mère. Prometteur.
We Hate You Please Die
L’année 2023 avait pourtant mal commencé. We Hate You Please Die se séparait de son membre fondateur Raphaël Balzary, “pour des raisons personnelles”. De quoi amorcer “un nouveau départ”, écrivaient Mathilde Rivet (batterie), Chloé Barabé (chant, basse) et Joseph Levasseur (guitare) sur la toile, prêt·es à faire évoluer un projet qui était né six ans auparavant, à quatre.
La voix profonde de son ex-leader en moins, le désormais trio a opéré sa mue en laissant de côté ses textes sombres et résignés pour tremper sa plume dans une ardeur conquérante. À l’image des singles sortis cette année par le groupe : Sorority / Control, deux soufflantes féministes à la Bikini Kill qui, à l’aune des discours sexistes et nauséabonds du moment – on ne s’épanchera pas – sonnent comme un appel à dissiper relents misogynes et logorrhées conservatrices. “We are stronger if we are together”, a ainsi chanté Chloé aux quatre coins de l’hexagone, de Strasbourg à Aix-en-Provence en passant par Bordeaux. Une tournée française que les Rouennais·es ont ponctué en beauté, avec une date aux côtés des Psychotic Monks, à Laval. Entre “sœurs”.
Johnnie Carwash
“Johnnie Carwash” parce qu’ils et elle répétaient à côté d’un carwash, tout simplement. Depuis sa formation en 2018, le trio lyonnais met en musique – consciemment ou non – le passage de l’adolescence à l’âge adulte, période trouble qui effraie autant qu’elle émancipe. Ce sont toutes ces émotions que Manon (guitare, chant), Bastien (basse), Maxime (batterie) sont parvenus à cristalliser dans un son volontairement DIY, aux imperfections assumées : celui-là même qui nous avait fait taper du pied, en 2022, avec Teenage Ends – un premier album indiscipliné aux textes mutins, de I Don’t Give A Shit à Slut Skirt.
Cette année, le groupe a écrit sur les affres d’une génération, faisant poindre dans les bacs Anxiety et I’m A Mess, deux singles par lesquels transparaissent les doutes juvéniles. En parallèle de sa tournée printanière et estivale, le groupe a regagné son studio pour enregistrer un second album, prévu pour mars 2024. De quoi continuer à faire vivre, nouvelle guitare en main (bleu ciel, s’il vous plaît), leur “garage pop cool”.
The Soap Opera
Eux ont fait leur retour sur les rails à l’orée de l’été (et ça s’entend). En juin, The Soap Opera dévoilait son troisième album, Back On Tracks. Dix titres aux couleurs chaudes où guitares, cordes frottées, piano et batterie s’entremêlent, parfois rejoints de quelques tambourins, toujours émaillés de somptueuses harmonies vocales. Une identité sonore non sans rappeler les Beatles ou les Beach Boys, et qui a offert la parfaite bande-son de nos pérégrinations estivales, cheveux au vent et joues rosées par le soleil.
Une chose est sûre : le quatuor rennais sait y faire, sans doute le fruit de huit ans à jouer ensemble et expérimenter le “demi-concert”. Une “coutume bien ancrée en Bretagne”, s’amusent-ils sur leurs réseaux sociaux, “où il n’est pas rare que des intempéries interrompent puis congédient un orchestre au beau milieu d’un récital de plein air”. Tribulations locales auxquelles les nouveaux protégés de Howlin’ Banana Records se sont frottés, cette année, avant de filer vers la capitale où ils ont joué (au sec) à l’International – haut lieu du Paris alternatif – puis à Lyon, Le Mans, Clermont-Ferrand… Magic Number, s’intitule l’un des morceaux de l’album : et si le nombre en question était 2024 ?
Cathedrale
Un diocèse nommé Howlin’ Banana, une messe qui se déroule sur scène, talismans – guitares, basse, claviers – crachant dans les enceintes. Ainsi Cathedrale a prêché, en 2023, son post-punk en France comme au Royaume-Uni, de Manchester à Glasgow. Des aventures outre-Manche que le groupe toulousain doit à Words/Silence, un quatrième album dont les titres oscillent entre garage et protopunk, enregistré en plein cœur de Londres.
Formé en 2016, le désormais quintet a vu sa composition se modifier, cette année, accueillant dans ses rangs Thomas Pradier (clavier, guitare) et disant au revoir à Robin Tubert (guitare) au profit de Pablo Acedo. Non sans rappeler les couleurs musicales de Cola ou les dissonances d’Unschooling, Cathedrale s’épanouit dans l’écosystème post-punk du moment, contribuant à le nourrir de sa vigueur. Et ses membres préviennent, pour notre plus grand plaisir : “C’est pas fini.” Amen.
Clavicule
Ceux-là carburent à la joie et aux pédales fuzz. Cette année, Clavicule a vaincu la morosité ambiante avec un deuxième album au titre sans équivoque : Full Of Joy. Un enthousiasme à la Idles que le quatuor rennais s’est évertué à répandre çà et là, à coups de distorsions, riffs psyché et rythmiques galvanisantes. Des sonorités qui ont convaincu les labels A Tant Rêver du Roi et Le Cèpe Records, lesquels ont signé le groupe formé quatre ans auparavant.
Puisant autant dans le punk garage que le surf rock californien, les cinq bretons sont parvenus à façonner un son à l’image de leurs multiples sensibilités musicales – tout en revendiquant l’héritage “de la versatilité et de la liberté sauvage du rock”. Sans doute le fruit de la myriade de répétitions auxquelles ils se sont astreints cette année et d’une résidence, en mars, à l’Hydrophone de Lorient. Une fois leur set prêt, ils s’étaient élancés dans leur “Total Happiness Tour 2023” – tout est dans le nom – série de concerts entamée avec leur release party, à domicile, entourés des Psychotic Monks. Une tournée qui s’était achevée, en octobre dernier, sous le soleil espagnol. Histoire de faire le plein en sérotonine.
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