Quels livres la rédaction des “Inrockuptibles” mettra sous le sapin cette année ? Chaque jour jusqu’au 24 décembre, un·e journaliste partagera son choix. Aujourd’hui, Marie Kirschen, critique livres, nous parle de “Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs”, un ouvrage collectif qui retrace l’histoire des luttes homos en France.
Il y a beaucoup à dire sur l’histoire des homosexualités en France. Pourtant, alors que les études gays et lesbiennes, puis queers, se sont développées de l’autre côté de l’Atlantique à partir des années 1980, ce champ de la recherche est resté relativement timide dans notre pays. La faute au manque de financement et à une certaine perception de ces sujets, encore souvent vus comme illégitimes.
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Si l’institutionnalisation des études gays et lesbiennes reste donc faible en France, depuis quelques années, une nouvelle génération de chercheurs et chercheuses s’est saisie de ces questions, bien décidée à leur donner la place qu’elles méritent. C’est de ce nouveau souffle dont témoigne l’ouvrage Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs.
Bouillonnement militant
Pas moins de 20 auteurs et autrices, venu·es de disciplines diverses (l’histoire, bien sûr, mais aussi la sociologie, la science politique, les études de genre ou les études théâtrales), se penchent sur les “luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels” des années 1970 et 1980. Le résultat est d’une grande richesse car il donne à voir le bouillonnement militant des années 1970 – une décennie qui a, souvent, été un peu trop vite résumée au seul FHAR, le fameux Front homosexuel d’action révolutionnaire, à qui l’on doit le slogan qui donne son titre au livre.
Ici, on se penche, par exemple, sur les liens entre mouvement homo et syndicats, la toute première commission politique dédiée à la question homosexuelle (celle de la Ligue communiste révolutionnaire, LCR, en 1975), ou encore la fétichisation raciale dans les petites annonces de rencontre homos de l’époque. À travers plusieurs contributions passionnantes, le livre insiste également sur la dimension culturelle (à travers le théâtre, le cinéma), et non pas uniquement activiste, des mobilisations lesbiennes et gays.
Cet ouvrage collectif redonne aussi toute leur place aux années 1980, trop souvent uniquement perçues comme celles du retour de bâton contre les féminismes, alors que le mouvement lesbien est foisonnant. C’est d’ailleurs un autre apport important du livre : il ne réserve pas la portion congrue aux sujets lesbiens, comme cela est trop souvent le cas quand on parle d’homosexualité, invisibilisant alors toute une partie de l’histoire.
Dans leur introduction, Hugo Bouvard, Ilana Eloit et Mathias Quéré, qui ont coordonné le recueil, évoquent une autre volonté historiographique de leur projet : celle de se décentrer de Paris pour investir d’autres dynamiques locales. On peut ainsi lire des contributions sur la géographie du Lille gay et les oppositions entre lieux commerciaux festifs et lieux militants, le tissu associatif lesbien à Rennes, ou encore une initiative théâtrale à Lyon. Au final, l’ouvrage constitue un ensemble riche et cohérent, qui fera date dans l’histoire des études gays et lesbiennes françaises.
Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs : Luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990), sous la direction d’Hugo Bouvard, Ilana Eloit et Mathias Quéré (La Dispute), 336 pages, 28 euros.
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