Sortis à quinze jours d’intervalle, les deux films mettent en scène un homme gay contraint de se marier à une femme pour échapper à l’opprobre sociale.
Il y a quinze jours sortait le nouveau film de Katell Quilléveré, Le Temps d’aimer, avec Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste. Aujourd’hui est mis en ligne sur Netflix Maestro, le biopic du compositeur Leonard Bernstein, réalisé par Bradley Cooper. Dans les deux œuvres, situées toutes deux dans la seconde moitié du XXe siècle (les années 1950-1960 pour Le Temps d’aimer ; des années 1950 aux années 1980 pour Maestro), un homme homosexuel épouse une femme pour échapper à l’opprobre sociale. Dans les deux films, l’épouse connaît la préférence sexuelle de son époux. Et même si elle la tolère, elle va entraîner beaucoup de souffrance.
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Si les deux récits comportent beaucoup de rimes, ils présentent aussi un certain nombre de dissemblances. La plupart d’entre elles découlent de la différence entre les milieux sociaux décrits. Dans les classes moyennes, même intellectuelles, décrites dans Le Temps d’aimer, l’homosexualité comme choix de vie assumé socialement n’est pas une option. François (Vincent Lacoste), l’étudiant puis enseignant, ne peut envisager d’autre mode de vie que la dissimulation et le mensonge. Une autre vie, où il pourrait vivre en accord avec ses désirs sexuels et amoureux, n’est pas pensable. Et même ce qui est vécu en secret (des plans rapides dans des lieux de fortune) l’est dans la honte. Pour Bernstein (Bradley Cooper), la honte n’est plus la question.
Des marginalités vécues différemment
Dans Maestro, il évolue dans le milieu permissif des élites artistiques de la côte Est. Son rayonnement artistique, son argent, lui permettent de vivre sans entrave ses désirs, à condition de sauvegarder pour le plus grand nombre la vitrine (hétérosexuelle, conjugale, familiale). D’un côté, une marginalité proscrite et une vie entière vécue dans le refoulement. De l’autre, une marginalité tolérée, qui autorise l’accomplissement des désirs mais à la condition d’une dissimulation.
L’une des rimes les plus troublantes est le cancer contre lequel se battent les deux personnages féminins. Une rémission paraît possible pour Madeleine (Anaïs Demoustier). Felicia (Carey Mulligan) en succombe – douze ans avant Bernstein. Nul ne sait jamais quelle est la part somatique du développement d’une maladie, mais les deux œuvres enregistrent une série de métastases. Il y a le mal que la société fait à certains hommes dont elle condamne les désirs. Il y a le mal que font ces hommes à leur entourage.
L’oppresseur derrière
Le Bernstein de Bradley Cooper est une figure particulièrement ambivalente (là où le François du Temps d’aimer est davantage défini par son statut entièrement victimaire). En choisissant de vivre légitimement ses désirs, mais dans le confort du mensonge bourgeois, il devient lui-même une figure d’oppresseur pour son épouse, qui sait tout des désirs de l’homme qu’elle aime, s’efforce de les accepter, ne peut tout à fait s’y résoudre, et ne parvient jamais vraiment à se déprendre de la mainmise affective qu’il exerce sur elle.
Le film parvient de façon assez nuancée à montrer à la fois la force nécessaire à affirmer un désir qu’une société réprime et la part d’égoïsme et de brutalité propre aux conditions dans lesquelles s’affirme ce désir. In fine, c’est quand même le système social qui a engendré cette chaîne du malheur qui est en cause.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 22 novembre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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