Le réalisateur géorgien est mort le 17 décembre à l’âge de 89 ans. Après des premiers films réalisés en URSS, Otar Iosseliani s’était ensuite installé en France pour fuir la censure et continuer à réaliser des films iconoclastes et poétiques.
Le cinéaste géorgien Otar Iosseliani, naturalisé français, est mort le 17 décembre dans sa ville natale de Tbilissi. ll avait 89 ans. Son œuvre caractérisée par une douce ironie, sa fantaisie et son anticonformisme compte parmi les plus originales qui soient. Pourtant, celle-ci est restée pendant longtemps un secret de cinéphiles bien gardé. En France, Otar Iosseliani est découvert en 1974 à la Quinzaine des Réalisateurs avec la présentation d’Il était une fois un merle chanteur.
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Pour fuir la censure de son pays, le cinéaste géorgien s’installe en France dès 1982, où il réalise certains de ses films les plus connus, comme Les Favoris de la lune, Brigands, chapitre VII ou encore Adieu, plancher des vaches ! pour lequel il reçoit le prix Louis-Delluc, en 1999. Une première rétrospective intégrale au Jeu de Paume permet de découvrir ses premiers films, puis il est de nouveau célébré avec une rétrospective organisée par la Cinémathèque française, en 2019. L’institution cinéphile a depuis mis en ligne plusieurs de ses films sur sa plateforme de streaming Henri.
Débuts en URSS
Né en 1934, Otar Iosseliani s’oriente vers le cinéma en intégrant le VGIK, l’école de cinéma de Moscou, après des études de mathématiques. Il réalise ses premiers films d’études, Aquarelle (1958), Le Chant de la fleur introuvable (Sapovnela) (1959), puis son film de fin d’études, Avril (1961). Déjà s’imprime sur la pellicule la singularité d’un regard : ces films sonores presque sans paroles, avec une pointe d’ironie fantaisiste voire surréaliste qui crée un décalage critique vis-à-vis du réel, évoquent le cinéma de Jacques Tati. Ce style iconoclaste ne sera pas au goût de la censure soviétique de l’époque, qui le juge trop formaliste et pas assez réaliste.
Mais comme il nous l’expliquait dans entretien publié en 1997, il en faudrait plus pour brider sa créativité : “Mon film de diplôme, Avril, a eu des problèmes avec la censure. Alors pour les faire chier, je suis parti incognito comme ouvrier à la fonte, dans une énorme usine métallurgique. C’était l’époque où les artistes devaient connaître la vraie vie de la classe ouvrière. Effrayé par les conditions de travail, j’ai tourné La Fonte, où je montrais le travail d’esclave, très dur, très sale.”
De fait, la première partie de sa carrière sera marquée par une bataille permanente avec la censure, l’obligeant à inventer des stratagèmes pour la contourner : “À cette époque, j’écrivais toujours deux scénarios : l’un pour passer devant les instances de la censure ; puis, muni du même texte, je faisais un autre film mais en le transformant de telle façon que je leur disais que c’est eux qui n’avaient pas bien lu le premier texte (rires)…”
Son premier long-métrage, La chute des feuilles, est déjà vu d’un mauvais œil par le régime, mais c’est surtout Pastorale qui sera complètement interdit en 1975. Les films d’Iosseliani n’ont pourtant rien d’explicitement militant ou dissident : “Je voulais faire quelque chose qui les ignorait. Pour eux, c’était déjà trop. Ils considéraient que cet argent devait être dépensé pour la propagande.” Ce mode de production particulièrement verrouillé l’empêchera de tourner pendant huit ans et le conduira à s’exiler, comme Tarkovski ou Konchalovski.
Carrière en France
À partir de 1982, Otar Iosseliani poursuit sa carrière en France avec Les Favoris de la lune (1984, Grand Prix du jury au Festival de Venise), La Chasse aux papillons (1992) ou encore Brigands, chapitre VII (1996), dans lequel il livre une critique virulente du stalinisme tout en la croisant à une ironie irrésistible. La grande singularité d’Iosselliani consiste peut-être à cette manière de ne pas détourner les yeux devant la noirceur du monde, tout en préférant le regarder comme une comédie un peu absurde. Il revendique ainsi explicitement l’influence de Jacques Tati : “Ce qui est propre au cinéma, c’est la comédie… Quand Tati plonge son personnage au milieu de la révolution technologique, il n’a pas d’autre but que de montrer comme c’est marrant. Il n’est pas agressif, ne se prend pas au sérieux. Il plonge un monsieur gentil, inadapté, venu d’une autre époque, dans le monde moderne. Et c’est ridicule, mais dépourvu de méchanceté. C’est ce que j’essaie de faire, de toutes mes forces.”
En 1999, il obtient un joli succès public avec Adieu, plancher des vaches !, avant de présider le jury de la Caméra d’or, en 2000. Ses films suivants seront sélectionnés dans les grands festivals internationaux, comme Lundi matin, présenté à Berlin, ou encore Chantrapas, hors-compétition au festival de Cannes, en 2010. Dans ce film tardif aux accents autobiographiques, il met en scène un cinéaste géorgien contraint à l’exil et livre une réflexion sur la liberté de création.
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