John Robb, journaliste, essayiste et musicien anglais, était de passage à Paris début juillet pour une séance de dédicaces au Motel et un concert à la Mécanique Ondulatoire (Paris XI). L’occasion d’évoquer avec lui les mutations de la ville de Manchester, le revival post-punk, Section 25, Blackpool, le Brexit et Karl Marx… Rencontre.
« Ecrire, jouer dans un groupe et réfléchir sur la musique, tout cela fait partie du même processus. Ce sont juste différents aspects d’une même idée : cette idée très punk-rock et DIY que tu peux créer ton propre art et ta propre culture. » A quelques heures du concert des Membranes, groupe pionnier de la scène post-punk britannique dont il est le co-fondateur, John Robb balaye d’une phrase tout préjugé selon lequel il serait contradictoire de cumuler les mandats de critique rock et musicien.
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Dr Martens, slim noir, blazer à fines rayures blanches et crête sur la tête, à cinquante-cinq ans, le natif du Lancashire incarne à la perfection l’image que l’on peut se faire d’un vieux briscard du punk game made in U.K. Mais derrière la silhouette intimidante de ce gaillard à la voix grave et éraillée jusqu’à la corde, se cache un garçon affable, érudit et qui sent bon l’après-rasage. Rédacteur en chef de la revue Louder Than War (que vous n’aurez aucun mal à trouver chez Gibert), conférencier pour TED sur des sujets aussi passionnants que l’éthique DIY ou le rapport du punk-rock au zen et à l’univers, et auteur d’une dizaine d’ouvrages incontournables sur la scène post-punk anglaise, les Stone Roses ou Manchester, sa ville d’adoption, Robb impressionne par sa gouaille et sa générosité sans borne dans le partage de son expérience et de ses connaissances.
La basse, symbole du post-punk
Et pour prendre la pleine mesure de cette générosité sans limite, il fallait être à la Mécanique Ondulatoire (Paris XI) ce soir pluvieux de juillet. Les Membranes s’y livraient à un concert bouillant et radicalement punk, émaillé de saillies rageuses de la part d’un John Robb ratissant la petite scène de la Méca de long en large, basse au poing, et multipliant les poses scéniques maintes fois immortalisées sur les t-shirts des kids du monde entier. « L’une des caractéristiques de la période post-punk est la réinvention de la basse. C’est un instrument avec lequel il est très facile de faire un maximum de bruit, nous confie Robb. Chez beaucoup de groupes issus de cette époque, la basse est le lead instrument. Un max de riffs sont joués sur la basse. Prends Jean-Jacques Burnel des Stranglers, son jeu de basse a été déterminant et particulièrement influent. C’est d’ailleurs étrange qu’il ne soit pas plus souvent cité. »
Si lui n’oublie pas de le mentionner, c’est qu’il sait ce qu’il doit au punk-rock. John Robb est animé par un besoin viscéral de revenir sans cesse aux racines de son art et lui rend un hommage acharné, comme s’il lui devait une dette éternelle. Quitte à faire du punk-rock, et de la période qui a succédé au punk à la fin des seventies, un sujet d’étude universitaire.
« Le punk était essentiellement un mouvement londonien »
C’est cette reconnaissance à vie qui le poussa en 2009 à placer son dictaphone sous le nez de tout ce que la ville de Manchester peut compter de légendes vivantes, pour aboutir à Manchester Music City 1976-1996, un livre exclusivement composé des paroles rapportées de ceux qui ont fait la légende de la cité mancunienne, des Happy Mondays aux frères Gallagher. « Le punk était essentiellement un mouvement londonien, lâche Robb. Mais les Buzzcocks ont ramené ça à Manchester. J’ai volontairement arrêté mon livre à 1996 avec Oasis car ils sont les derniers à avoir grandi au contact immédiat de toutes ces influences punk et post-punk. » Les Buzzcocks feront d’ailleurs la première partie du deuxième concert mancunien des Sex Pistols en 1976…
Ses racines à lui sont pourtant ancrées ailleurs ; à Blackpool très exactement, ville balnéaire de la côte de la Mer d’Irlande, dont la jetée sur pilotis évoque sa chic cousine du sud, Brighton. C’est là que son groupe, les Membranes, est né. « Les petites villes de province regorgent de micro-scènes. On ne venait pas de Berlin, on ne venait pas non plus de New York, on venait de Blackpool, ce qui pouvait faire de nous des Bisounours. Dans notre ville, qui est surtout une destination de vacances, nous n’étions pas seuls : il fallait compter avec Section 25. Et en terme de musique underground, Section 25 était au moins aussi bon que Joy Division. Nous nous sommes efforcés de faire une musique différente, selon notre propre éthique », se souvient John Robb. Ian Curtis a d’ailleurs produit le track Girls Don’t Count, issu de leur premier maxi sorti en 1980 sur le label Mancunien Factory Records.
« Le Nord se soulèvera à nouveau »
Robb n’en demeure pas moins estampillé docteur ès Manchester. En version originale, le titre de son ouvrage de référence sur la scène post-punk locale, cité plus haut, possède une charge politique que sa traduction française ne met pas en lumière : The North Will Rise Again – Manchester Music City 1976-1996. Soit : « Le Nord se soulèvera à nouveau ». Une façon de mettre en avant les liens sous-jacents qui rattachent l’explosion de cette scène musicale au contexte prolétarien de la crise post-industrielle qui toucha la ville à la fin des années 70. Et quand on demande à John Robb si la récente victoire des partisans du Brexit est le genre de soulèvement auquel il s’attendait, le bassiste se marre. « Beaucoup de punks ont voté contre le Remain pour dire fuck off à tout. A l’Europe, comme au gouvernement, nous confie Robb. Mais en vrai, je peux comprendre les gens de Sunderland (la ville de Sunderland bat des records de chômage outre-Manche et est considérée comme le fief de pro-Brexit, ndlr), qui voient le reste de l’Europe et certaines villes anglaises, comme Manchester, mieux résister à la crise.
La ville de Manchester dont on parle dans mon livre n’existe plus. C’est une ville du XXIe siècle à présent, dont les grandes tours en verre définissent le paysage. Et elle le doit en partie à l’Europe. Mais Manchester reste néanmoins une ville au passé révolutionnaire unique, rajoute John Robb. Karl Marx a fait ses recherches pour le Capital à la Chetham Library et Engels a établi les grandes lignes des principes socialistes à Manchester. Tous les deux pensaient que la révolution communiste commencerait à Manchester. Toutes les conditions étaient réunies : la pauvreté, des familles entassées dans des caves et plus de vingt mille immigrés irlandais pauvres vivants dans une zone dangereuse et explosive appelée Little Ireland. Pour des raisons qui m’échappent, c’est en Russie que la révolution a eu lieu (rires). »
Robb évoquera ensuite la militante féministe Emmeline Pankhurst, les premiers mouvements végétariens anglais ayant pris forme à Manchester, le Hallé Orchestra « le seul orchestre symphonique de Grande-Bretagne créé pour le peuple, parce que les travailleurs étaient en quête de culture » et bien entendu l’Haçienda, club mythique des années 80. « A Londres, tu as les riches et les arts nobles, et les pauvres autour d’une pinte dans un pub. A Manchester, arts nobles et arts populaires s’entremêlent et tout le monde est capable de chanter du Joy Division. » Entre Histoire, psychogéographie et expression d’un sentiment amoureux pour une ville aux mutations multiples, le coeur de John Robb balance.
On ne résistera pas à la tentation de lui demander quel est le groupe qui, selon lui, serait le plus à même de définir Manchester :
« Les Buzzcocks car tout a commencé avec eux ; Joy Division parce qu’ils ont, d’un certain point de vue, inventé le post-punk ; Les Stones Roses et les Smiths parce qu’ils sont iconiques ; The Fall pour leur originalité ; Les Happy Mondays pour leur excentricité et Oasis parce qu’ils sont énormes. »
Impossible de n’en choisir qu’un, donc.
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