L’année s’achève, le monde de l’édition change, et plusieurs pages se tournent. L’une d’entre elles est de taille, puisque c’est celle du Masque et la Plume animée par Jérôme Garcin – et on a failli écrire “celle du Masque de Jérôme Garcin”, tant cette émission est devenue la sienne, comme s’il l’avait inventée, allant jusqu’à faire oublier ses prédécesseurs.
Il faut dire qu’il y a officié comme on embrasse un sacerdoce pendant plus de trente ans. Une génération a grandi avec “Le Masque de” Jérôme Garcin. À part sa voix sur Inter, ses partis pris dans L’Obs, je savais qu’il y avait la passion des chevaux et de la Normandie. Ce que, beaucoup plus jeune, je ne comprenais pas trop. C’est avec le temps que j’ai compris qu’on a toujours raison de cultiver son jardin secret puis de vouloir le transmettre dans ses livres. Je suis entrée au Masque et la Plume en mars 2007. Ambiance glaciale. Pas super bien accueillie par mes consœurs et confrères. Sauf bien sûr par Jérôme, qui m’y avait invitée.
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Une présence décisive
Au fil des années, j’ai découvert un homme d’une indéfectible bienveillance envers ses masqué·es, et d’une immense pudeur. Peu à peu, l’ambiance a changé. Disons qu’au fil de nos fous rires du dimanche soir, elle a fini par se réchauffer. Partager durant une heure ce drôle d’exercice qu’est Le Masque, aussi enivrant que flippant, ça rapproche forcément. Car faire Le Masque est un exercice étrange, où l’on s’amuse beaucoup et d’où l’on ressort parfois complètement démoralisé·es. C’est parfois un théâtre – face à un public –, parfois une arène, dans laquelle l’on ne sait jamais d’où le coup va partir, ni quelles alliances vont se nouer autour d’un texte.
Où même seize ans plus tard, j’y vais encore le cœur qui bat pour tel texte que j’aime et qui risque d’être descendu par les autres. Le Masque, c’est peut-être le seul endroit où j’ai pu dire à Jean-Louis Ezine, qui me coupait sans cesse la parole, “mais tu vas fermer ta gueule maintenant !” (fou rire de Jérôme) ; l’un des rares où l’on cultive une irrévérence salutaire (par exemple dire que J.M.G. Le Clézio est un auteur plus que surestimé, voire un très mauvais écrivain). Bien sûr que Le Masque peut agacer, heurter, blesser. Mais cela va avec sa liberté.
Dans un monde où la critique devient de plus en plus consensuelle, Jérôme Garcin a su
maintenir, renforcer, protéger cet espace de liberté qu’est Le Masque et la Plume. Dès janvier, l’aventure continuera avec Rebecca Manzoni.
Édito initialement paru dans la newsletter livres du 14 décembre 2023. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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