Collectionneuse de titres à qui il ne manque que l’or olympique, Sarah Ourahmoune, 34 ans, a décroché son billet pour les Jeux de Rio. Alors que la Fédération française de boxe enchaîne les faux-pas pour féminiser la discipline, la sportive amateur, pionnière sur les rings, s’engage de son côté. Portrait.
Ce samedi matin de juin, au Boxing Beat, le club de boxe d’Aubervilliers, il n’y a que des femmes à l’entraînement. Il y a 20 ans, quand Sarah Ourahmoune a poussé la porte de la salle pour la première fois, elle avait 14 ans et l’ambiance était plutôt chargée en testostérone.
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« J’étais la seule nana. Il n’y avait même pas de vestiaire pour les filles, raconte-t-elle. Quand j’ai commencé à boxer, les combats étaient interdits aux femmes. Ils ont été autorisés en France, deux ans plus tard, en 1999. » Soit soixante ans après le Canada.
Depuis, la boxeuse franco-algérienne, élevée dans une fratrie de six enfants, a fait du chemin. Elle fait partie des deux premières Françaises, avec Estelle Mossely, sélectionnées pour les Jeux de Rio, en boxe anglaise amateur. « Un tournant historique », assure la journaliste spécialiste du sport féminin Fabienne Broucaret.
Les JO ne se sont ouverts aux boxeuses qu’en 2012 et aucune Française n’avait réussi à se qualifier. La Fédération française de boxe n’avait pas misé sur elles.
« Les conditions de préparation pour les qualifications étaient très différentes entre les athlètes. Les boxeuses ont été lésées, elles se plaignaient d’un manque de variété dans les exercices et les adversaires. Cette fois-ci c’est différent. La fédération a fait des efforts de rééquilibrage », raconte Fabienne Broucaret.
Pour elle, ce n’est pas un hasard si, mieux préparées, les deux Françaises ont intégré la sélection des 36 boxeuses – contre 250 hommes – qui s’affronteront pendant ces Jeux de Rio.
Saïd Bennajem, l’entraîneur de Sarah durant quinze ans, se souvient de la « jeune fille d’1,58 m, un peu fluette, timide et très sérieuse, surtout à l’école » qui a débarqué parmi la meute de boxeurs du Boxing Beat, en 1997. Sa mère assistait à tous les entraînements pour la dissuader de monter sur le ring. « Pour elle, la boxe c’était Rocky et sa gueule abîmée. Elle était persuadée qu’ils allaient me casser le nez pour que je sente ce que ça faisait », raconte la trentenaire, cheveux noir de jais attachés en queue de cheval, look de chef d’entreprise en ensemble bleu marine et marinière, mais baskets d’entraînement aux pieds.
La plus titrée des boxeuses
Saïd, qui assume fièrement son surnom « d’entraîneur de gonzesses » à Aubervilliers, loue son mental d’acier.
« Malgré les remarques sexistes des autres boxeurs qui faisaient tout pour qu’elle abandonne, elle a persévéré. Elle progressait beaucoup plus vite que la moyenne des garçons. »
Son palmarès a de quoi assommer le plus macho des boxeurs. Elle accumule les ceintures. Huit fois championne de France, quatre fois championne d’Europe et une fois championne du monde, elle est la boxeuse française la plus titrée dans sa catégorie. De mi-mouche (45-48 kg), elle est passée en poids mouche (- 51 kg), en 2012. « Je n’ai pas vraiment eu le choix. Si je voulais être sélectionnée aux JO, il fallait entrer dans l’une des trois catégories (moins de 51kg, moins de 60kg et moins de 75kg), ouvertes aux femmes. »
Trop stressée par l’enjeu cette année-là, elle s’était inclinée face à une Bulgare en 8e de finale, avait raté sa qualification et décidé de raccrocher les gants. La peur des regrets l’a vite rattrapée. Une grossesse plus tard, Sarah Ourahmoune a repris l’entraînement avec un objectif : Rio, en 2016. Et y est parvenue. « Elle a passé un cap psychologique avec la naissance de sa fille », explique son premier entraîneur.
« Avec près de 280 combats au compteur, plus que la plupart des hommes, ses adversaires la craignent. Elle va vite et elle fait mal. »
60 € la victoire
Elle est aussi plus à l’aise financièrement. Pour les sélections de 2012, la boxeuse avait dû se débrouiller pour financer elle-même son préparateur physique et s’était endettée. Cette fois-ci, elle a organisé un crowdfunding.
Comme la majorité des sportifs amateurs, Sarah Ourahmoune ne peut pas vivre seulement de la compétition. La fédération n’alloue pas autant d’aides personnalisées aux boxeuses qu’aux boxeurs. Mais depuis 2011, la situation s’améliore. A partir d’un certain niveau, hommes et femmes perçoivent une indemnité mensuelle de 300 à 800 €. Ils empochent aussi 60 € par combat victorieux, loin des 120 millions de dollars de prime du champion américain Floyd Mayweather lors d’un combat à Vegas, en 2015…
La championne, éducatrice spécialisée de formation, est salariée, chargée de projets au sein du club d’Aubervilliers où son compagnon Francky exerce aussi en tant qu’entraîneur. Avec lui, elle a aussi créé sa boîte après avoir intégré un master en gestion de ressources humaines, à Science Po. Ils proposent à des entreprises des séminaires de développement personnel à base de boxe.
Elle multiplie les initiatives pour faire savoir aux filles qu’elles ont le droit d’enfiler les gants : cours gratuits pour les boxeuses, découverte de la boxe éducative dans les classes de primaire d’Aubervilliers etc. « Mais je ne me considère pas comme militante. On ne peut pas être de tous les combats », insiste-t-elle.
Talons aiguilles sur ring
L’athlète a refusé de siéger à la commission « boxe féminine » de la fédération. Sa présidente, Séverine Gosselin, a lancé un curieux plan de féminisation « pour rendre la boxe davantage féminine et pour que les boxeuses puissent être considérées comme des femmes à part entière ». Au tableau des initiatives, un Ladies Boxing Tour réservé aux débutantes. L’affiche promotionnelle ? Des jambes de femmes chaussées d’un côté de baskets de boxe montantes, de l’autre d’un escarpin noir à talon aiguille vertigineux ; à l’arrière-plan, des gants de boxe. Sarah Ourahmoune n’adhère absolument pas.
« Je ne m’y reconnais pas. Pas plus que dans le reste des équipements, des petits t-shirts, des gants ou des jupettes roses. »
Fabienne Broucaret, auteur de l’ouvrage « Le sport féminin : dernier bastion du sexisme ? », raille cette stratégie de communication caricaturale qui enferme « les sportives dans une féminisation à outrance et ridicule. Ça fait le buzz à court terme, mais c’est complètement inefficace ».
« Ça serait déjà pas mal d’avoir des tenues à notre taille », renchérit Sarah Ourahmoune. Il y a quelques années encore, les boxeuses utilisaient du scotch pour ajuster les shorts et les débardeurs trop larges. En 2012, juste avant les JO, retournement de situation. Le président de l’Association internationale de boxe amateur (AIBA), souvent discréditée par les boxeurs pros, voulait (trop) féminiser les tenues et obliger les sportives à porter une jupe pour les distinguer des hommes. Les boxeuses s’y sont opposé.
« Pour le moment, la communication des sports dits masculins vise à réaffirmer la féminité dans tout ce qu’elle a de stéréotypée. Les sportives doivent avant tout être des femmes et hétérosexuelles », précise Natacha Lapeyroux, doctorante en sciences de l’information et de la communication qui termine une thèse sur la représentation télévisuelle des sportives.
Surjouer la féminité n’aide pas à se faire accepter dans un sport resté exclusivement masculin jusque dans les années 1990. La féminisation du noble art, amorcée en France plusieurs années après la Suède ou les Etats-Unis, devrait encore s’accélérer.
Un uppercut difficile à encaisser pour certains hommes. « Chez les pros, Anne-Sophie Mathis et Myriam Lamare ont essuyé les plâtres », indique la journaliste Fabienne Broucaret. Fin 2011, la première reçoit le Gant d’or l’Equipe (un trophée récompensant le meilleur boxeur professionnel de l’année, hommes et femmes confondus, en France). Dans L’Equipe, le boxeur Fabrice Tiozzo, multiple champion du monde, n’avait pu s’empêcher de dire tout le mal qu’il pensait de la boxe féminine. « Elles ne font que se taper dessus et s’abîment beaucoup. »
Aux JO, exit les jupettes, place aux gants
Cette image pourrait bien changer grâce aux JO. C’est déjà le cas. Pour la première fois L’Equipe 21 a diffusé les tournois qualificatifs de boxe féminine et les deux Françaises sélectionnées ont déjà commencé à écumer les plateaux TV.
« L’impact médiatique va être énorme pour ces boxeuses, avance la journaliste Fabienne Broucaret. Les JO sont la compétition sportive par excellence. Il y aura des retombées côté sponsors, mais aussi de façon globale sur l’image de la boxe féminine. »
Fini le côté glamour et les jupettes, place aux poings et à la sueur. Les JO vont permettre de se recentrer sur la performance sportive, précise la chercheuse Natacha Lapeyroux. « La fédération ne pourra plus passer à côté de ses 8 000 boxeuses et toutes celles qui vont y venir », ajoute la chercheuse.
Comme après la sortie du film de Clint Eastwood « Million dollar baby », en 2005, la fédération s’attend à une vague d’inscription après les JO. « La médiatisation crée un modèle identitaire, explique encore Natacha Lapeyroux. Sarah Ourahmoune l’incarne déjà dans le milieu de la boxe. Avec les JO, elle va s’ouvrir au grand public. » Et potentiellement susciter l’engouement d’une flopée de filles pour les rings.
Cet article a été réalisé en collaboration avec le CFPJ.
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