Quels livres la rédaction des “Inrockuptibles” mettra sous le sapin cette année ? Chaque jour jusqu’au 24 décembre, un·e journaliste partagera son choix. Aujourd’hui, Carole Boinet, directrice de la rédaction, nous parle de “Nevada” d’Imogen Binnie.
J’aurais pu choisir un classique de chevet, comme Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, Un Amour de Swann de Poust, ou même Dans ma chambre de Guillaume Dustan, mais je crois que j’offrirai à Noël un livre de la rentrée littéraire 2023, Nevada d’Imogen Binnie.
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Nevada n’est pas à proprement parler un livre de cette année puisqu’il est paru en 2013 chez Topside Press, une petite maison d’édition américaine montée pour publier des textes d’auteur·ices trans, avant de bénéficier d’une aura d’œuvre “culte” et de se voir traduire chez Gallimard en France cette année.
Enfin héroïne de sa propre histoire
Imogen Binnie est une autrice trans, comme l’est Maria, son alter ego de fiction, l’héroïne de son roman Nevada. Maria travaille dans une librairie, à New York. Maria est un peu paumée, se sépare un beau jour de sa copine, “emprunte” ou plutôt vole sa caisse, et se barre en roadtrip jusque dans le Nevada, de l’héroïne plein les poches. Elle atterrit à Star City, dans un supermarché tout aussi paumé qu’elle où elle rencontre James, un employé en proie à des questions d’identité de genre que lui ne se formule pas vraiment, mais que Maria identifie immédiatement. Le choc de deux solitudes, qui s’en vont faire un tour au casino de Reno.
Nevada, c’est un peu la rencontre entre Sur la route de Kerouac, Baise-moi de Despentes et quelque chose de Jarmusch, peut-être Down By Law. On y suit les actions de Maria comme son monologue intérieur aussi drôle que furieux. Ça fuse, ça envoie, les pensées s’entrechoquent comme les sentiments et la quête d’identité. La question de la transition infuse la fiction. Soudain, émerge, enfin, une héroïne de fiction dont la personnalité et l’identité ne se limitent pas à sa transidentité. Nevada n’est pas aimable, ni pédagogue ni rien. Son héroïne se définit comme “snob-intello-punk-autodidacte-indé” et ponctue ses réflexions d’un “whatever” conservé en anglais dans le texte et qui rythme le roman comme un beat un morceau.
“L’envie d’écrire Nevada est vraiment venue d’un sentiment de frustration, nous racontait-elle. Je ne nous voyais jamais dans les livres, ni moi ni mes amies. Les quelques personnages trans de la littérature étaient toujours des anecdotes dans l’histoire de quelqu’un d’autre ou des clichés sur pattes. J’ai donc voulu écrire un livre, comme une manière de dire ‘fuck you’, dont le cœur serait la subjectivité d’une femme trans.”
Nevada est brillant, drôle, saugrenu, intrépide. C’est un très bon cadeau de Noël.
Nevada d’Imogen Binnie (Gallimard), 304 pages, 23 €.
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