D’abord, il y a l’affirmation d’un antisémitisme forcené ; ensuite, viennent les lois anti-juives. Le Birgit ensemble donne à entendre le mécanisme de déshumanisation à l’œuvre sous le régime de Vichy.
C’est l’histoire édifiante d’hommes et de femmes, jeunes et âgé·es, qui se sont adressé·es à des interlocuteur·rices précis·es ou anonymes pour tenter d’obtenir justice et d’échapper à l’engrenage mortifère de l’avalanche d’ordonnances antijuives se succédant en 1941 et 1942. En vain, leurs destinataires, le maréchal Pétain ou le Commissariat général aux questions juives (CGQJ), les considérant comme des sous-hommes et des sous-femmes, et les ayant envoyé·es en déportation à Auschwitz. “Ce qu’il y a de tragique à la lecture de ces lettres aujourd’hui, c’est que nous savons que ces personnes écrivent à leur bourreau”, indique la metteuse en scène Julie Bertin.
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Leurs lettres, des milliers, sont entreposées aux Archives nationales. Ainsi que les réponses qu’ils et elles ont reçues, leur déniant droit et dignité. Ce matériau historique, découvert par Laurent Joly, chercheur et historien, a donné lieu à un documentaire coécrit avec Jérôme Prieur, Les Suppliques. Mais il y manquait l’incarnation, la miraculeuse possibilité qu’offre le théâtre de redonner vie aux mort·es.
Faire revivre ces destins broyés
Connaissant le travail du Birgit ensemble, fouillant et excavant les recoins sombres de l’histoire, Laurent Joly et le producteur du film, Alexandre Hallier, l’a contacté, “estimant nécessaire de porter à la connaissance du public le plus large possible ce matériau incroyable. Ils nous ont envoyé 300 lettres retranscrites sur les milliers qui existent”.
“Nommer ces ombres pâles, c’est déjà les convoquer”, constatait Vladimir Jankélévitch à propos du Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld. Une citation que le Birgit ensemble fait sienne en élaborant, à partir de six de ces lettres une fiction documentée qui tente, par l’imagination, l’empathie et le jeu théâtral, de faire revivre ces destins broyés par la machine de guerre nazie et le régime de Vichy. Dans un dispositif scénique bifrontal, le public est au plus près de l’espace de jeu, encadré d’éléments de décor recouverts de housses plastiques, que les interprètes dévoilent tour à tour pour recréer l’environnement familier, quotidien, qui fut le leur avant leur mise à mort.
Ce geste théâtral, soulever le voile du passé et retrouver la fraîcheur, la vigueur, de ce qui reste tapi au-dessous est d’une force incroyable. S’y ajoute la qualité de jeu des acteurs et actrices (Salomé Ayache, Marie Bunel, Pascal Cesari, Gilles Privat), de générations différentes, impressionnant·es pour leur engagement, quasiment à corps perdu, à témoigner de ces destins, sans jamais sombrer dans le pathos. L’injustice de leur sort suffit amplement à donner le cadre d’où ils et elles s’évertuent à plaider une cause qui leur est refusée. De quoi réfléchir à l’heure où l’antisémitisme se manifeste avec une ardeur monstrueuse.
Les Suppliques, conception, écriture et mise en scène Julie Bertin et Jade Herbulot, Le Birgit ensemble. Au Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis, jusqu’au 17 décembre ; Théâtre Châtillon Clamart, du 18 au 20 janvier ; à la Comédie de Reims, du 23 au 25 janvier.
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