Comprendre la triangulation entre vêtement, société et identités en 2023 : c’est le projet de “Canal Piu”, la nouvelle émission de Canal+ consacrée à la mode présentée par Giulietta Canzani Mora, surnommée Piu Piu. Rencontre.
“La mode, c’est vraiment une manière d’exister”, lance Giulietta dès la première minute de l’interview. Engagée, féministe tissant des ponts entre fête, mode et culture, Giulietta, qui est également derrière l’agence d’image Good Sisters, présentera dès lundi 11 décembre Canal Piu, un programme sur la mode en six épisodes diffusée mensuellement sur Canal+.
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Si la chaîne télévisuelle s’était démarquée dans les années 2000, en proposant des programmes pince-sans-rire dévoilant les coulisses du mystérieux milieu de la mode pensés par Loïc Prigent et Mademoiselle Agnès, Canal Piu propose un nouveau récit. Moins focalisé sur l’industrie, mais toujours avec une touche d’humour, il s’agira de restituer les dynamiques entre vêtement et société. Rencontre.
De quoi va parler Canal Piu ?
Giulietta Canzani Mora – Il s’agit à la fois de comprendre le rapport des gens à la mode, et ce que la mode raconte de la société. Nous sommes dans un monde d’images, avec de plus en plus de possibilités de médiatisation, ce qui impose de comprendre l’image comme quelque chose de construit en vue d’être diffusé aux autres. Et qu’on le veuille ou non, le vêtement dira quelque chose de nous.
Le fil rouge, pour chaque épisode, est le suivi d’une personnalité, quelqu’un qui exemplifie cette conscience de l’image. La première, c’est Eva Longoria, avec qui on a passé plusieurs jours, où l’on a observé et discuté la construction de son personnage public. On est aussi revenu sur certains de ses looks qui ont été de véritables statements politiques dans sa carrière. L’objectif est de montrer que rien n’est laissé au hasard.
Il y aura aussi une pastille qui s’appelle Mème par la journaliste et écrivaine Mélody Thomas : l’idée est de trouver plein de gens habillés de façon similaire et de dire ce que cela signifie pour eux. Melody expliquera ce que ces personnes veulent raconter à travers ces codes forgés, et leurs liens à la société. Et il y aura une pastille sur les collectionneurs ainsi qu’une chronique intitulée Un peu de tenue, qui décryptera le sens de tendances contemporaines, notamment celles vues sur les podiums de la Fashion Week. On retrouvera donc à la fois une personnalité aimée du grand public, des ponts avec les podiums et la rue, le quotidien.
Je pense qu’aujourd’hui, la mode, c’est de la pop culture, et c’est donc aussi de la culture. Ce n’est pas seulement un acte de consommation capitaliste : c’est vraiment une manière d’exister. Notre objectif avec l’émission est de parler de la mode en plaquant le sens social au centre, plutôt que de discuter de consommation. C’est important car pour beaucoup, la mode reste quelque chose de très élitiste. Pourtant, on s’habille tous et toutes, et par cette pratique, on raconte beaucoup de choses, que ce soit sa classe, son genre, sa sexualité…
À quel moment de ta vie, de ta carrière, as-tu perçu le pouvoir symbolique et communicationnel du vêtement ?
Pendant mes années dans la mode, j’ai été assistante pour le styliste Benoît Bethume et lors de shootings avec Manuela Pavesi (styliste pendant 40 ans au Vogue Italie et ayant fortement influencé Miuccia Prada), je me suis rendu compte de l’importance des détails. Une boucle d’oreille peut changer l’image d’une personne et ainsi changer la personnalité qu’elle projette. Ajouter un bijou, enlever un accessoire : cela change complètement ce que tu racontes. Au final, la mode, c’est faire de l’image, et il faut être précis car avec un détail, un mouvement, tu vois naître devant toi un personnage qui peut être totalement différent.
Quel est le mouvement, la tendance qui t’a le plus marqué en préparant l’émission ?
Je dirais le retour des années 2000, et ce que cela raconte pour des jeunes qui l’arborent aujourd’hui et qui avaient à peine cinq ans à l’époque ! Adopter un baggy, un crop top et un micro sac à main montre une volonté de rébellion, alors que depuis deux ans, il y a un grand embourgeoisement de la mode avec des tendances très chic, très dame et évoquant le travail, le rendement dans une société capitaliste.
Or, ces nouveaux uniformes des années 2000, magnifiquement vulgaires, racontant le moment de gloire de it girls comme Paris Hilton, qui prônait un modèle de célébrité connue pour l’absence de talent : c’est une forme de résistance ultime, de rejet des valeurs dominantes, qui nous montre de nouveaux modes visuels de rébellion qui sont beaucoup plus subtils. Rien à voir avec l’extravagance du punk. C’est discret, et cela s’explique par le fait que nous sommes dans une société plus habituée aux codes de communication et de présentation de soi. Je pense que ce sont dans les détails quasi invisibles, les choses a priori anodines, que se décèlent les punks contemporains.
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