Un biopic consacré à un activiste injustement oublié des droits civiques et une série Showtime se penchent respectivement sur l’homophobie au sein du mouvement noir américain et sous le maccarthysme.
Comparer un film et une série, c’est tricher un peu. Mais Rustin, le biopic qui vient de paraître sur Netflix consacré au militant des droits civiques Bayard Rustin, et la série de Showtime Fellow Travelers ont beaucoup en commun.
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Voilà deux œuvres historiques explorant la condition homosexuelle et qui – signe des temps et des débats qui animent Hollywood – sont portées par des acteurs (Colman Domingo, d’un côté; Matt Bomer et Jonathan Bailey, de l’autre) et des réalisateurs (George C. Wolfe, déjà responsable d’un film sur la blues woman bisexuelle Ma Rainey, et Ron Nyswaner, scénariste de l’iconique Philadelphia) ouvertement gays. Surtout, les deux projets se penchent sur le rôle des homosexuels en politique avant l’éveil de Stonewall. Et le sort qui leur était réservé quand ils avaient l’audace de s’en mêler.
Rustin raconte un bout de l’existence de Bayard Rustin, compagnon de lutte de Martin Luther King et grand architecte de la marche historique sur Washington en 1963 à l’issue de laquelle le révérend prononcera son fameux discours I Have A Dream. Fellow Travelers, quant à elle, raconte en huit épisodes la relation aussi intense que chaotique d’un couple d’hommes entre les années 1950 aux années 1980, soit du maccarthysme jusqu’à la crise du sida.
Se méfier des siens
Point crucial, aucun des personnages ni du film ni de la série n’est militant LGBT. Si Bayard Rustin ne fait pas secret de son orientation sexuelle, son combat est celui contre la ségrégation raciale. Le film décrit plutôt comment son homosexualité a été utilisée contre lui, pas tant par ses ennemis les plus évidents (les ségrégationnistes, le FBI) mais par son entourage militant. Impossible pour ses paires d’imaginer qu’un homosexuel soit le visage de la lutte des Noirs américains.
Conservateurs, républicains, blancs et tentant de se frayer un chemin politique à Washington, les personnages principaux de Fellow Travelers sont moins aimables. L’un est un héros de guerre carriériste (Hawk joué par Matt Bomer), l’autre un catholique tiraillé et anti-communiste convaincu (Jonathan Bailey), mais les voir se démener avec la certitude que le bonheur est impossible est douloureux.
Avec Rustin, Wolfe livre un biopic pédago, reprenant la recette qui a fait le succès de Harvey Milk. Ce n’est pas un hasard si le scénario est cosigné par Dustin Lance Black, scénariste du film de Gus Van Sant sorti en 2008. Le biopic un peu ampoulé fait de Rustin Bayard un saint homme, échouant ainsi à rendre hommage à son audace, malgré la performance habitée de Colman Domingo (Euphoria). Fellow Travelers tient plus de la série d’espionnage que de la fresque historique. Lorsque le maccarthysme élargit la chasse aux communistes aux homosexuel·les (des mœurs jugées “anti-américaines”), la panique qui étreint les personnages rappelle le climat parano de la série The Americans. Eux aussi doivent se méfier des leurs : amant·es, amours, collègues.
Si la série est une fiction adaptée d’un roman de Thomas Mallon, elle incorpore habilement des personnages et des situations qui ont bel et bien existé : Joseph McCarthy (Chris Bauer) mais surtout Roy Cohn (brillamment incarné par Will Brill), collaborateur zélé de McCarthy, qui plus tard deviendra le mentor de Donald Trump. La série montre comment par amour du pouvoir et avec une dose surhumaine d’hypocrisie, cet homme lui-même homosexuel va contribuer à la persécution de ses semblables.
Au carrefour de communautés
Même s’il est sage, le film de Wolfe a le double mérite d’apporter un coup de projecteur sur une figure majeure du mouvement des droits civiques et de rendre à la communauté LGBTQIA+ une de ses grandes figures. Si celle-ci connaît si mal ses héros, c’est parce que l’histoire les lui vole.
En fait, le film et la série proposent deux visions du concept d’intersectionnalité. Produit par Higher Ground Productions, la boîte de prod de Barack et Michelle Obama, Rustin illustre plutôt bien comment des discriminations existent au sein même de mouvements voulant mettre fin à d’autres oppressions. Noir et pédé, le personnage se tient fièrement au carrefour de communautés pas encore prêtes à dresser des ponts entre elles. Mais avec verve et abnégation, il parvient à embarquer les plus récalcitrants dans son projet sans jamais taire son identité sexuelle. Quitte à ne pas en recevoir les lauriers.
Sur ce même sujet, Fellow Travelers tire une tout autre morale. Dans une scène particulièrement odieuse, un journaliste noir (joué par Jelani Alladin) venu assister à la performance de son petit ami drag queen, se fait brutaliser à l’entrée d’un bar blanc et traiter de “pédale”. Écœuré, il rédige un article racontant la scène mais n’en retient que le racisme, pas le caractère homophobe. Lorsque son amant lui fait remarquer, il lui répond : “Ce n’est pas un combat que je peux gagner maintenant. Aucun éditeur ne me publiera. Je serai toujours un homme de couleur avant tout.” Subtilement, la série nous rappelle que les discriminations ne s’empilent pas. Elles s’emmêlent inextricablement.
Rustin de George C. Wolfe disponible sur Netflix.
Fellow Travelers, créé par Ron Nyswaner. Diffusion en janvier 2024 sur Canal+.
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