Retour de la gorge profonde et bouleversante du Blue Nile, avec un album qui ordonne le bien-être. Critique et écoute.
The Blue Nile, au crépuscule des années 80, inventa en compagnie de Talk Talk, et sous l’influence probable de Brian Eno, une autre façon d’envisager la pop-music, en lui offrant plus d’espace entre les points, plus de lenteur dans la narration, plus de silence entre les notes. Le chef-d’œuvre du groupe, Hats, sorti en 1989, s’entend encore au quotidien dans toutes les musiques partisanes de l’épure, de la soustraction, de la mélancolie laconique. Souvent sans même connaître cet album majeur, des artistes comme James Blake, Cascadeur, Sigur Rós ou Portishead en perpétuent le vertige horizontal.
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Luxuriante dans son épure presque ascétique, cette musique hantante, qui mariait Mahler et Marvin Gaye, est devenue, entre intoxiqués de sa beauté vénéneuse, un sésame, la clé secrète pour une outre-pop. On rêvait de l’entendre, économe d’elle-même, servir des voix qui la méritaient, comme Murat ou Leonard Cohen. Sauf que The Blue Nile possédait déjà sa propre voix-piège, à la gravité et la force d’expression rarement entendues depuis John Cale.
Son chanteur, le rare et discret Paul Buchanan, nous avait accordé un entretien en 1994. Il nous disait : “Nous laissons beaucoup de place à l’espace, au silence, libre à chacun de le remplir à sa guise. Il arrivera donc forcément un jour où nous n’obéirons plus au format chanson, où nous échapperons à tout carcan. Il nous faudra forcément plus de temps et moins de structure pour installer une histoire, un ton.”
C’est chose faite après huit ans de silence, avec ce premier album solo, qui sort juste derrière une collaboration avortée – car jugée trop sombre par l’industrie des sourds – avec Shirley Manson de Garbage. Toute narration pop classique a ici été dépouillée, évidée en une musique plane mais pas planante, suggérée plus que jouée, aux pianos entièrement à la merci des humeurs d’une voix qui a encore gagné en profondeur, en majesté. Musique anti-zapping, anti-effets, anti-frénésie, elle prend un temps impossible pour installer ses humeurs, pour instaurer sa grandeur. Il faut être patient, admettre l’immobilité, l’arrêt immédiat des activités, lui consacrer une attention essentielle pour en jouir pleinement. Mais ce maigre investissement, qu’il ne réclame qu’humblement, cet album vous le repaie dix fois en sérénité, en bien-être.
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