La start up de foodtech vient d’annoncer quelle était placée en redressement judiciaire. Des milliers de restaurateurs et de livreurs se retrouvent du jour au lendemain sans revenus.
A bien y réfléchir, il y avait bien eu des signes avants coureurs. Des retards de paiement au mois de juillet ou une levée de fonds manquée en juin. “Mais on ne s’imaginait pas du tout ça, tonne Stéphane*, livreur depuis plus d’un chez Take Eat Easy. On a été prévenus par un texto, mardi matin, qui nous disait d’aller voir nos mails”. Le message est on ne peut plus clair :
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“C’est avec une grande tristesse que nous vous annonçons que nous sommes dans l’obligation de suspendre les opérations de Take Eat Easy pour une durée indéterminée”, annonce la firme.
Envoyé à 8h30, le texte indique qu’il prend effet dès maintenant. “Je devais travailler le midi même. J’étais rentré de vacances spécialement pour ça”, note Arthur.
La première à tomber
La start-up belge de livraison de repas, qui évolue dans le domaine ultra concurrentiel de la “foodtech”, est donc la première à tomber, face à ses concurrents, le britannique Deliveroo, l’allemand Foodora ou l’américain UberEats. La boite, qui affichait pourtant une forte croissance depuis un an (+30%), est placée en redressement judiciaire. Elle a notamment échoué lors de sa dernière levée de fonds au premier semestre. “Depuis huit semaines, nous avons désespérément essayé de trouver des solutions pour rester debout”, assure Adrien Roose, PDG de la start-up, dans une lettre ouverte. Concrètement, cela signifie, pour les milliers de restaurateurs et de livreurs “partenaires”, que leurs factures ne seront pas payées au mois de juillet. Ou en tout cas pas tout de suite.
Chez les livreurs, qui sont plus de 3 000 à collaborer avec Take Eat Easy à travers toute la France, c’est rapidement l’affolement général. Les messages se multiplient sur leur divers groupes Facebook. Beaucoup comptaient sur ce travail comme un “job” d’été. “J’avais prévu de bosser cet été et tout le mois de septembre, explique Stéphane.
« Je ne sais pas comment je vais faire. lls me doivent plus de 1 200 euros, s’indigne un livreur bordelais, très en colère. C’est un vrai coup de poignard. Et personne ne me répond, j’apprends tout par Facebook”.
(Matthieu Birach est le responsable France de Take Eat Easy)
Les livreurs dans le doute
Les livreurs sont en effet auto-entrepreneurs : ils sont payés sur facture, tous les 15 jours. Pour le paiement des impayés, dans un redressement judiciaire, priorité est donnée aux salariés – ils sont 160 à Take Eat Easy. Et si, en Belgique, la Smart, une mutuelle, qui fournit une protection sociale aux travailleurs freelance, a annoncé que 340 000 euros allaient être débloqués pour les coursiers, rien de tel en France. Impossible pour les livreurs de savoir s’ils peuvent récupérer ce qu’ils ont travaillé au mois de juillet. “Pour nous, les conséquences sont très dures : certains ne peuvent pas payer leur loyer du jour au lendemain”, précise Matthieu, qui a créé il y a un mois le premier collectif de coursiers, pour tenter de défendre leurs intérêts.
Mardi après-midi, les livreurs ont donc organisé une “migration” géante à travers Paris, à la rencontre des principaux concurrents : Foodora et Deliveroo. Deux cadres de Take Eat Easy sont présents, pour s’assurer que leur flotte pourra re-pédaler rapidement. “On a débarqué à quarante chez Foodora”, plaisante un livreur. Les “roses” et les “bleus” acceptent de donner la priorité aux anciens livreurs.
“Plus d’une centaine de livreurs sont passés spontanément nous voir dans la journée de mardi, confirme-t-on chez Foodora. on essaie d’accompagner au mieux les coursiers qui se retrouvent sans travail, on gère au cas par cas”.
Arthur, lui, a déjà récupéré son matériel – sac, t-shirt, casquette – chez Foodora. “Je devrais commencer dès demain”, précise-t-il. Tout comme Stéphane, qui espère commencer à la fin de la semaine. D’autres boîtes, comme Nestor, en profitent pour publier leur offres d’emploi sur les groupes Facebook dédiés. “Difficile d’imaginer qu’ils puissent absorber autant de coursiers en si peu de temps”, relativise Matthieu.
Coup dur pour les restaurateurs
Les restaurateurs également, tombent de haut. Dans un long post Facebook, le restaurant parisien Booba Mara n’est pas tendre avec son ancien partenaire. “Quelle indécence ! s’indigne l’équipe dans un post intitulé ‘les mots justes pour te dire merde”. « Pourquoi avoir volé des restaurants qui sacrifient leur marge pour faire face en travaillant avec vous ?”
De son côté, Steve Burggraf, gérant de Big Fernand, est plus mesuré. Ses restaurants de burgers travaillaient en exclusivité avec Take Eat Easy et étaient le plus gros fournisseur. “Je suis davantage surpris qu’en colère. J’aimais beaucoup cette équipe, souligne le gérant. On ne sait pas encore comment on va être payés. Ils nous doivent plusieurs milliers d’euros.” Il a déjà entamé les discussions avec une autre firme. Elles devraient aboutir avant la fin de la semaine.
Pour autant, l’aventure va laisser des traces chez les livreurs.
“Elle nous fait tous réfléchir à l’uberisation, confirme Stéphane. Bien sûr que notre statut n’est pas normal. J’espère vraiment qu’il va y avoir jurisprudence pour faire un peu le ménage”.
Un ancien coursier, Jérôme Pimot, a déjà attaqué son employeur au Prud’hommes pour faire évoluer son statut en salarié. Le jugement devrait être rendu dans un an. Et la mésaventure a gonflé à bloc Matthieu, le président du collectif “coursiers franciliens”, qui espère créer une dynamique collective pour défendre les livreurs autoentrepreneurs. “Ce genre d’expériences donne du poids au collectif, ça prouve que n’importe quelle boite peut mettre toute sa flotte dans la merde.” Lui n’a pas été repris par Foodora ou Deliveroo. “Ils n’aimaient pas mon activité militante, croit-il savoir. Mais ça peut arriver chez eux aussi.”
Selon nos informations, plusieurs livreurs seraient même en train de se regrouper afin de former un recours collectif. Ils vont demander la requalification de leur contrat afin de pouvoir se faire payer.
Message d’un « ex » livreur Take Eat Easy
Tout est dit !!! pic.twitter.com/nrrRjKSFKg— Jérôme PIMOT (@Eldjai) 28 juillet 2016
Cerise Sudry-le-Dû
*Le prénom a été changé
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