Longtemps attendue, l’association d’Isha et de Limsa d’Aulnay honore le rap comme un art prêt à parler du monde et de son désenchantement, avec style et élégance, mais sans jamais oublier d’esquisser un léger sourire.
Officialisée par Starting Block (2020), l’union d’Isha et de Limsa d’Aulnay est de celles qui paraissent évidentes. Issus d’une même génération, les deux rappeurs, “sur qui personne n’aurait misé qu’ils s’en sortent légalement”, ont d’abord opté pour des projets pensés sous forme de trilogie, au service de la rime placée, tout entier dédiés à cette “littérature de rue” systématiquement traduite dans des morceaux où la dramaturgie de la rue rencontre celle de la technique, sans que l’une ne surclasse l’autre.
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Avec le temps, les deux compères ont fini par se retrouver au sein de la même ville – Bruxelles, où Limsa a fini par s’installer –, créant d’office un rapprochement géographique propice à l’enregistrement d’un projet commun, profondément récréatif et pourtant traversé de bout en bout par des fulgurances, des réflexions introspectives, sincères, parfois dites avec dérision, mais toujours dotées d’une évidente sensibilité.
Condamnés au spleen
“À chaque fois que je subis des drames, le premier truc qu’ça m’inspire, c’est des rimes/ Le deuxième truc qu’ça m’inspire, c’est des blagues” : un tel sens de la formule, sans esbroufe, qui n’a d’autre velléités que de se dévoiler par touches, n’a rien d’anodin, plus particulièrement encore au sein une industrie où les égos jouent des coudes, où les projets collaboratifs répondent souvent à un cahier des charges, où peu d’artistes s’autorisent comme Limsa et Isha à écrire ainsi, avec l’ironie et la franchise de ceux qui en ont trop vu. Bitume caviar vol.1 est ainsi une œuvre riche en réflexions, épaisse, ludique (chacun a le droit à son morceau solo), qui montre sa capacité à la cohérence jusque dans chaque couche de son, jusque dans chaque référence : quand Limsa glisse des clins d’œil à Sniper, Bernard Minet ou Juliette Armanet (“J’suis prêt pour le dernier jour du disco”), Isha cite Ärsenik et Dead Presidents, l’un des grands classiques de Jay-Z.
Presque une évidence, tant les deux associés partagent avec le rappeur new-yorkais le même goût pour l’envers du décor : raconter la réussite, aussi modeste soit-elle, ok, à condition de parler des “reclus de la société”, des boulots précaires, de ces gens qui, comme eux, semblent condamnés au spleen. D’où ces confessions a priori inavouables, ces constats balancés comme des vérités (“Le désespoir fait prendre des risques”), et cet impressionnant diptyque, Plan A-Plan B, à travers lequel Limsa et Isha rendent accessible les recoins les moins reluisants de leur imaginaire.
Bitume caviar, Vol. 1 (Papa Shango/Logique Records/Demain PIAS). Sortie le 1er décembre.
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