Scénariste et cinéaste de séries noires, David Ayer se retrouve à la barre d’un des blockbusters superhéroiques les plus attendus de l’année. Entre James Ellroy et Brad Pitt, retour sur la filmographie d’un auteur.
Élevé dans l’ambiance chaotique de South Central, entre gangs rivaux et pots de vin, scénariste de polars nerveux (Training Day, Dark Blue) et de films d’action explosifs (Fast and Furious, SWAT), David Ayer est également le metteur en scène de chroniques urbaines contemporaines où s’entremêlent drogues dures, ironie amère, armureries, désillusions ensanglantées et sacrifices. En quelques mots, qui est donc l’homme chargé de manoeuvrer l’imminent Suicide Squad ?
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Un ancien membre de l’US Navy
Copyright Sony Pictures
Après avoir été chassé du domicile familial et s’être initié très jeune à la loi de la rue, David Ayer a intégré les rangs de l’US Navy. De cette expérience il tira les grandes lignes de son premier scénario, celui du U-571 de Jonathan Mostow, blockbuster sous-marinier intégrant la vague des grosses machines hollywoodiennes aquatiques (Speed 2, En pleine tempête, K-19).
De cette idée d’armée, institution forcément source d’illusions, Ayer va bâtir son entière filmographie, en captant les errances nauséeuses d’un GI de la guerre d’Afghanistan dans Bad Times et en s’attelant à son propre Il faut sauver la peau du Soldat Ryan avec le désespéré Fury. Pour ce dernier, il concilie les deux sens du mot « shoot » (tourner, tirer) et fait construire un tank entier, concu pour intégrer en son sein des caméras encombrantes. Tel qu’il le précise pour History.net, le réalisateur envisage en ce projet ambitieux une forme de consécration artistique : « je fais partie de ces gens qui pensent que vous n’êtes pas un vrai cinéaste tant que vous n’avez pas fait votre propre film de guerre« .
De manière plus globale, c’est certainement cette expérience personnelle signifiante (découverte de l’armement et de la contre-attaque stratégique, du code de l’honneur, des décisions exécutives gouvernementales, de la défense du pays) qui a permit à Ayer de dépeindre avec authenticité les membres des divers services d’armée américaine – et le caractère éphémère de leur existence sous adrénaline- des unités d’élite courant vers leur perte (le scénario de S.W.A.T de Clark Johnson en 2003 et Sabotage en 2014) à la reconstitution d’une division blindée américaine affrontant l’ennemi germanique au cours de la Seconde Guerre Mondiale (Fury en 2014). Menée par Brad Pitt, la bande de soldats qu’il met en scène s’avérera d’ailleurs être un véritable…escadron-suicide.
Un amoureux de Los Angeles
Profondément marqué par le cinéma américain urbano-sociopolitique des années soixante-dix/quatre-vingt, celui de Martin Scorsese (Taxi Driver), William Friedklin (French Connection, Police Fédérale Los Angeles), Sidney Lumet (Serpico, Un après-midi de chien) et Abel Ferrara (Bad Lieutenant, King of New York), David Ayer fait, à l’instar de ses modèles, du paysage métropolitain un personnage à part entière de sa filmographie. Le lieu de la corruption, où trafics de dope, fusillades, homicides, règlements de compte constituent le quotidien ethnographique. Du Denzel Washington de Training Day (hommage incarné à la rap culture et plus précisément au gangsta rap des années 90, son par excellence des ghettos US) au Christian Bale ultraviolent de Bad Times, la balade en voiture au fil des feux rouges est l’instant tragicomique où les personnages seront caractérisés et les enjeux définis.
En 2012 le cinéaste propose End of Watch : deux policiers du Los Angeles Police Department (dont notre protagoniste, incarné par Jake Gyllenhaal) y traversent de part et d’autre South Central, munis non pas d’un éventail d’armes à feu, mais…de multiples mini-caméras, permettant de saisir le cadre géographique en sa globalité. L’usage du found footage (façon Blair Witch ou Cloverfield) fait alors office de mise en abyme sur le statut du cinéaste, le decorum – et l’acte filmique qui permet d’en capturer les fragments – comptant tout autant pour Ayer que l’action.
https://www.youtube.com/watch?v=Hd-ZPo-SjcY
Cette passion pour Los Angeles, Ayer la partage avec son auteur de polars favori, James Ellroy. En écrivant le scénario de Dark Blue – série noire avec Kurt Russell, baignant dans le climat tendu des émeutes antiraciales de 1992 – et en réalisant Au bout de la nuit, chronique sur la corruption du milieu policier américain, David Ayer s’est permis d’adapter sur grand écran les écrits funèbres de l’auteur.
Pour Rotten Tomatoes, Ayer insistait sur l’aspect quasi documentaire de ses fictions : « j’ai grandis à Los Angeles, ma femme et de nombreux amis y vivent, c’est un monde et une culture avec lesquels je suis connecté« . Naturaliste, le cinéma d’Ayer est un peu un Cité des Anges, Ville Ouverte, l’artiste revendiquant chez IndieWire l’influence déterminante du néoréalisme italien sur ses films (Rossellini, Vittorio De Sica, Luchino Visconti).
Le nom de David Ayer n’a réellement retenti qu’à la sortie de Training Day (2001), polar brutal (ce que les anglosaxons catégorisent comme « hard boiled ») réalisé par Antoine Fuqua, dont il signe le scénario. Le film sera un grand succès public, avec quarante cinq millions de dollars engrangés sur le sol américain. Au centre du récit figure Alonzo, flic-ripou charismatique interprété avec frime par un Denzel Washington oscarisé. La devise de ce représentant de la Loi – qui n’hésite pas à la violer – est éloquente : « pour protéger les brebis, il faut qu’on arrête le loup. Et il faut être un loup pour arrêter un loup« . De là s’esquisse ce qui sera au coeur de Suicide Squad, à savoir la mise en doute du concept d’héroïsme.
Entre le Ethan Hawke de Training Day et le Keanu Reeves de Au bout de la nuit, Ayer aime à nous faire adopter le point de vue d’un « juste », candide, fragile, inflexible, découvrant progressivement que ses repères moraux et les institutions qu’il fréquente sont des plus chimériques…et la notion d’héroïsme avec. Les valeurs se retrouveront alors brisées à l’instar des corps.
De même avec Sabotage, réécriture des Dix Petits Nègres d’Agatha Christie, Ayer fait agir Arnold Schwarzenegger, le « last action hero » US, comme un flingueur impitoyable, dont la violence brut de décoffrage et expéditive dénote avec son statut d’héros suscitant l’empathie. Les morts particulièrement graphiques se succédant au sein de la Drug Enforcement Administration édifieront finalement le protagoniste en personnage ambiguë de vigilante, façon Un justicier dans la ville.
Mais la référence principale, avouée par David Ayer au gré des entretiens, n’est autre qu’un classique du cinéma à la modernité « antihéroique » : La Horde Sauvage. En s’efforçant toujours de nuancer ses personnages, entre agressivité physique et candeur touchante (le Bale cravaté de Bad Times est à la fois sadique et amoureux), Ayer a structuré son oeuvre selon cette citation du western crépusculaire de Sam Peckinpah : « Nous rêvons tous de redevenir enfants, même les pires d’entre nous. En fait, surtout les pires d’entre nous« .
Un apôtre du cinéma viril
Avant de connaître le succès en tant que metteur en scène, David Ayer a participé à l’écriture du pétaradant film de bolides Fast & Furious, hit au box office décalquant la trame narrative de Point Break. Mine de rien, cet apport créatif a priori peu personnel en dit long sur le cinéma d’Ayer : la revendication d’une imagerie virile, développée au gré d’oeuvres quasi-exclusivement composées d’hommes, à l’instar des westerns de la grande époque ou des films de guerre, deux genres majeurs aux yeux du cinéaste.
Diriger le Terminator en personne pour Sabotage, en lui attribuant les oripeaux de la brute primitive – façon Commando – est une manière pour le cinéaste de revendiquer cette connotation testostéronée, culte d’un corps désormais difforme et aberrant. De Training Day à Au bout de la nuit, si la femme chez Ayer est souvent là pour être humiliée, violentée ou sauvée, sa relative absence appuie la dimension nihiliste d’oeuvres où le manque de femmes suggère le manque de mères – et donc d’avenir pour l’homme, tour à tour désabusé, manipulateur, dépressif ou kamikaze. Qu’il soit en quête éperdue de stabilité comme le chien fou Christian Bale dans Bad Times ou qu’il n’ait rien à perdre comme le Schwarzy-martyr de Sabotage, l’homo erectus n’a aucune chance de sortir indemne de la jungle qu’il parcoure en compagnie de ses congénères.
Interrogé lors de la sortie de Fury sur cette dominante intrinsèquement masculine, David Ayer déclarait malicieusement à IndieWire : « si je devais valoriser un personnage féminin, celui-ci serait particulièrement vicieux« . De quoi espérer le meilleur quant à la caractérisation d’Harley Quinn, folle à lier et icône sexuelle qui, aux côtés du Joker, est vendue comme l’une des têtes d’affiche de Suicide Squad. Le réalisateur, jusqu’ici parangon des films d’amitié virile où le beau sexe n’occupe que peu de place, fera-t-il osciller son attendu blockbuster comic-book…vers le girl power ?
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