Pionnière de la BD anglaise, comme en France Claire Bretécher, la dessinatrice britannique est l’objet d’une exposition à la BPI du Centre Pompidou où satire féministe et littérature sont mises à l’honneur. Rencontre à Paris.
Avec ses romans graphiques – Gemma Bovery et Tamara Drewe, adaptés au cinéma, ou Cassandra Darke et sa marchande d’art misanthrope –, l’Anglaise Posy Simmonds a trouvé sa place dans le paysage de la BD mondiale. Parce qu’elle mélange dessin et littérature d’une manière unique, mais aussi grâce à un trait délicat véhiculant une satire féroce. Exposée à la Bibliothèque Publique d’Information du centre Pompidou, du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024 à Paris, elle revient sur un demi-siècle de carrière.
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Dans l’expo, on trouve des dessins réalisés à Paris quand vous étiez à la Sorbonne. Une bonne expérience ?
Posy Simmonds – Quand je suis arrivée, c’était extraordinaire. Les arômes, les bruits, la nourriture, l’odeur du tabac, du gaz… Tout était différent. Pendant cet hiver 1963, il faisait froid, je me réfugiais aux Galeries Lafayette, au Louvre, au Jeu de Paume. Je n’étais pas une très bonne étudiante, j’avais 17 ans et il y avait beaucoup de distractions ! Je suis allée pour la première fois dans des boîtes de nuit, comme le Caveau de la Huchette. J’ai acheté un polo noir parce que j’aimais bien Camus et le look de Juliette Gréco. Quand je suis revenue dans ma famille pour Noël, je portais une jupe et mon père était là : “Oh, God !”
En 1972, vous entrez au journal The Guardian, un déclic ?
Au début, dès qu’il y avait un espace vide, je le remplissais. Et puis j’ai collaboré aux Women’s Pages. The Guardian était, grâce à des femmes journalistes, un des premiers quotidiens à parler des droits des femmes, d’égalité des salaires.
Dans un de vos dessins de 1989, March of Feminism, vous affirmez que le féminisme était moins présent dans les années 80 que dans les années 70.
Oui, et il a repris dans les années 1990. Mais beaucoup de choses n’ont pas changé. Les gouvernements se plaignent des taux de natalité mais ce sont toujours les femmes qui, en grande partie, ont la charge des enfants. Nous sommes toujours jugées sur l’apparence. Certaines filles se croient obligées de se comporter comme des stars du porno, d’autres pensent qu’elles vont changer leur vie grâce à la chirurgie esthétique.
Quelle était l’idée de True Love, votre premier roman graphique traduit seulement aujourd’hui ?
C’est une parodie des comics romantiques que je lisais à l’âge de 14 ans. L’histoire était un peu nulle mais j’aimais bien les textes : “Elle battait des cils comme des papillons emprisonnés.” Dans les bandes dessinées, il n’y avait pas beaucoup de rôles pour les femmes. C’était soit la beauté envoûtante, la femme au foyer avec son rouleau à pâtisserie ou la sorcière. Heureusement, avec les nouvelles autrices, ça a changé.
Avec Gemma Bovery, vous avez créé votre propre forme de bande dessinée avec beaucoup de texte, comment est-ce arrivé ?
Un peu par hasard. Je devais faire dans The Guardian un feuilleton de 100 épisodes avec un format vertical bizarre. Après quelques temps, j’y ai vu la possibilité de mettre du texte quand la séquence précédente était riche en bulles. Comme c’était publié dans un journal, je voulais que les lecteurs en aient pour leur argent.
Une de vos planches rend hommage à Claire Bretécher, vous la connaissiez ?
Ses Frustrés étaient traduits dans The Sunday Times. Quand je suis retournée à Paris, j’ai acheté ses livres en français. J’ai rencontré Claire lors d’une soirée à Londres – elle portait une veste en cuir ravissante ! On a beaucoup parlé, des deadlines, de l’horreur de la page blanche.
Dans votre prochain livre, pourrait-on retrouver Cassandra Darke, votre personnage de femme d’âge mûr ?
Je ne sais pas mais ça m’intéresse beaucoup de parler de ma génération de femmes, la dernière à avoir été destinée à épouser des avocats, des médecins. Avant, il n’y avait que la perspective du mariage et pas beaucoup de temps pour réaliser ses propres ambitions. Quelque chose qui m’inquiétait vraiment. Petite, j’ai compris que ma mère, très intelligente, était frustrée de ne pas être allée à l’université. Cassandra, elle, est libre et se fout de tout.
Continuez-vous à lire en français ?
Oui. Simenon, c’est très bien à lire un peu tous les jours. Je viens de finir un livre d’Annie Ernaux et j’en commence un autre. J’aime bien Balzac. L’année dernière, j’ai relu La Cousine Bette. Je lis bien sûr de la bande dessinée, le nouveau Jean Harambat, La Pièce Manquante, du Riad Sattouf, Catherine Meurisse…
Propos recueillis par Vincent Brunner
Posy Simmonds – dessiner la littérature, à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou, à Paris, jusqu’au 1er avril 2024.
True Love, de Posy Simmonds (avec Paul Gravett et Anne-Claire Norot), éd. Denoël Graphic/Centre Pompidou, 144p., 25€, traduction de l’anglais par Lili Stzajn.
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