Le duo israélien The Young Professionals déroule un discours qui dépasse largement du cadre de sa musique ultrapop, camp et discoïde pour parler de sa génération et de ses contradictions. Critique.
Le 22 avril, la nuit tombe sur Tel-Aviv, petit New York méditerranéen, enclave libérale et libérée, festive et bigarrée, ville cool d’une nation tendue, à deux heures du sud libanais dévasté par la guerre, à un jet de pierre des territoires palestiniens, à quelques encablures des colonies de Cisjordanie. A mille lieues, pourtant, des emmerdes : sur la place Yitzhak-Rabin, où le Premier ministre a été assassiné et où se pressent bambins, jeunes, vieux, Arabes, Juifs ou (jolis et jolies) militaires en goguette, se prépare une belle fête populaire, le concert de la star pop locale Ivri Lider en solo d’abord, puis avec The Young Professionals ensuite.
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La prestation du duo, formé par Lider et le jeune prodige électronique Johnny Goldstein, est folle, discoïde, clubesque, camp, trash, théâtrale. Les danses de leur copain Uriel Yekutiel sont bouillantes, sexuelles et scandaleuses, les tubes pour Macumba universels et iPod intimes, pour petits et grands, la reprise ahurissante du D.I.S.C.O. d’Ottawan ou celle de Lana Del Rey, les morceaux propres de TYP s’enchaînent et déchaînent. En équilibre précaire entre goût douteux et pur fun, entre hédonisme sans retenue et mélancolie latente (Hot Chip, dans les meilleurs moments, n’est pas loin), la troupe fait se soulever la foule, dans une belle échappée collective des dures contingences nationales.
“On s’adapte à tout, explique le lendemain le passionnant Lider. Quand il y a eu la première guerre du Golfe, les gens ont arrêté de sortir pendant un mois. Mais ensuite, tout le monde est ressorti, faisant fi des menaces : on allait en boîte ou au restaurant avec nos masques à gaz, qu’on décorait tous à notre manière, ma mère m’en avait même confectionné un, très cool, c’était devenu une tendance… C’est un mécanisme de défense : on essaie d’ignorer le pire. Pour être honnête, beaucoup de gens de notre âge en ont marre de parler de politique. Nous n’en pouvons plus, nous voulons que les choses changent, mais c’est une autre génération qui tient le pouvoir. Et tant que c’est le cas, rien ne changera.”
En dansant, on s’adapte effectivement à tout. A la tension permanente entre le laïc et le religieux, aux contrastes intenses qui font d’Israël l’une des pelotes de problématiques les plus inextricables du monde moderne. “D’un côté, nous vivons dans une société très conservatrice : la religion se mêle à tout, l’armée est assez centrale. Mais de l’autre, Israël est un pays incroyablement libéral : mon petit ami allemand a obtenu un visa sans problèmes ni questions, simplement parce qu’il était mon petit ami. Un exemple : il y a, sur la côte de Tel-Aviv, une succession de trois plages, l’une où se réunissent les propriétaires de chiens, l’autre les homosexuels, la troisième les religieux…”
Sur son très varié et variable conceptalbum 9 AM to 5 PM 5 PM to Whenever, dont chaque morceau constitue la bandeson d’une tranche de journée d’un “jeune professionnel”, le groupe parle ainsi de sa génération et de ses infinies contradictions, entre l’intime et l’universel, le déni de réalité et l’engagement. Et lui offre, comme d’autres ailleurs, des modèles globaux et des formes inédites.
“Un artiste doit être un ‘jeune professionnel’, car la musique est un business, il faut vivre avec. L’idée du groupe vient de là : on ne voulait pas passer par le processus classique. Un groupe est une belle idée, une idée pure, mais ne peut-on pas créer une forme moderne de groupe ? Pourquoi les aspects visuels, aujourd’hui consubstantiels à la musique, ne seraient pas mis au même niveau qu’elle ? Et pourquoi, alors, les deux musiciens, un webdesigner, un graphiste, un vidéaste, des danseurs, le manager ne seraient pas tous membres à part entière du groupe, à niveau égal, démocratique comme économique ? Mon père était un communiste, un vrai, j’ai grandi dans un kibboutz, une structure naturellement socialiste : ça a sans doute un rapport avec cette envie de collectif.” TYP ne parlerait donc pas de politique ? Peut-être, plutôt, font-ils comme si : subversif et drôle, le groupe ne fait peut-être finalement que ça. Et le fait bien.
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