Après avoir sorti le magistral “Desire, I Want to Turn Into You”, notre album de l’année, Caroline Polachek s’est embarquée dans une tournée mondiale volcanique. La New-Yorkaise revient sur ses intenses douze derniers mois.
“Repenser au début de l’année me rend quelque peu émotive. Pendant des semaines, je n’ai pas vu la lumière du jour. En plus de répéter avec mon nouveau groupe et de travailler sur le live avec les équipes techniques, j’étais en studio le matin pour mixer mon album. J’ai cessé de travailler dessus seulement deux jours avant sa sortie [le 14 février], tout mon corps n’était plus qu’adrénaline. J’ai donc vécu la parution de Desire, I Want to Turn Into You comme un soulagement avant tout. Ce qui est bizarre, quand tu sors de la musique à notre ère du digital et du streaming, c’est qu’il y a quelque chose de totalement intangible. C’est assez psychédélique et ça me prend généralement quelques semaines pour comprendre que mon album est enfin disponible.
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Cette fois-ci, je m’en fichais presque, car j’étais obnubilée par le live et mes nouveaux musiciens. J’avais la sensation d’assister à la naissance d’une famille destinée à passer sa vie ensemble sur la route pendant un an : c’était excitant comme une semaine de rentrée scolaire. La scène a vraiment consumé ma vie pendant les semaines qui ont suivi mais, peu à peu, j’ai commencé à obtenir de bons retours, des critiques positives. Notre show a un peu évolué depuis les premières représentations. La structure a gardé sa dynamique originelle, mais la musique s’est développée à force d’être autant jouée à la main, jusqu’au point où j’ai presque du mal à écouter les versions de l’album. Sur scène, les morceaux ont pris un nouveau tour stylistique, surtout vocalement, et je prends plus de plaisir à les chanter.
Quelque chose de tranchant
J’ai beau avoir beaucoup pris l’avion, je n’ai jamais regardé aussi peu de films que cette année, bizarrement. Pendant les vols, j’avais besoin de laisser mon cerveau au repos. Mais j’ai écouté énormément de musique. Je crois que l’artiste que j’ai le plus écoutée cette année, outre Alex G, dont on est tous très fans dans le groupe, c’est la Française Malibu. Elle m’a beaucoup apaisée. Doss a aussi été la BO de ma vie en tournée parce qu’elle a ouvert pour plein de nos concerts, en plus d’avoir fait un remix incroyable de Bunny Is a Rider. Dans mes oreilles, il y aussi eu Leya, un groupe contemporain de New York, beaucoup de Popol Vuh aussi, surtout leurs titres du milieu des années 1970, et puis ce disque de guitare fusion des années 1980 que m’a fait découvrir mon guitariste : Aerial Boundaries de Michael Hedges. Enfin, j’ai écouté obsessionnellement Single Gun Theory, que m’a recommandé ma bassiste, en particulier l’album Flow, River of My Soul.
En octobre, j’ai sorti l’inédit Dang, qui est né lors d’une session en 2019 avec Cecile Believe, qui est aussi une productrice géniale. On était à Los Angeles et on voulait quelque chose qui soit cru, rugueux, tranchant. On a écrit les paroles et la base de la chanson, puis on a continué à se l’envoyer régulièrement et à la modifier au fil des années. En 2020, pendant la pandémie, je me suis fixé deux objectifs : l’un était de me remettre au piano et l’autre de m’améliorer dans la production de beats, car c’était un peu mon talon d’Achille. Dang est donc devenu un objet d’étude pour moi, et mon boyfriend, le pauvre, a dû l’entendre quelque chose comme 3 000 fois pendant cette période. J’ai enfin fini cette chanson il y a trois semaines ; je savais depuis un certain temps que ce serait mon premier geste musical après Desire, I Want to Turn Into You. Je ne pouvais pas simplement sortir cet album, partir en tournée et ne plus donner signe de vie. Il fallait que quelque chose se passe avant la fin de 2023.
Une expérience exaltante
Pour la performance au Late Show with Stephen Colbert, j’étais très nerveuse car c’est arrivé pendant la semaine où la guerre entre Israël et le Hamas a éclaté. Je voulais parler de notre relation à l’information, qui n’est pas du tout fiable. Mais je craignais de tomber dans une approche grossière, ce qui est le risque avec ce genre de sujets. Par ailleurs, j’ai dû penser à tout ça très rapidement, en dix jours chrono, car aux États-Unis, nous étions toujours en plein dans la grève des scénaristes. Toutes les émissions de télé étaient bloquées jusqu’à quelques semaines avant la performance. Au final, c’était une expérience exaltante, et j’ai aussi été très émue de pouvoir récolter de l’argent au bénéfice de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient en vendant des T-shirts dérivés du show télévisé. Je n’ai pas encore la somme, qu’on est toujours en train de calculer au regard des frais de port, mais je crois qu’on a récolté environ 61 000 dollars [l’équivalent de 57 000 €].
En cette fin 2023, je suis excitée d’aller en Australie, où ce sera ma première fois en solo. J’ai beaucoup de chance, en ayant sorti un album en début d’année, d’avoir ce point final aussi net, qui marquera la fin d’un cycle. J’ai eu plein de propositions pour l’année prochaine mais j’ai dit non à tout : je veux me concentrer sur mon prochain disque car je me sens très inspirée en ce moment pour écrire de la musique. Mais j’ai aussi méchamment besoin de me poser, car j’ai tellement voyagé cette année. J’ai passé plus de temps dans les aéroports que sur scène !”
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