Où une réfugiée afghane trouve un sens à sa vie dans une usine de “fortune cookies”. Une comédie indé entre Jarmusch et Kaurismäki.
Ancienne traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, Donya est une réfugiée de 20 ans qui travaille dans une usine de fortune cookies servis par les restaurants chinois à Fremont, ville de la banlieue et de la baie de San Francisco. En proie à de lourdes insomnies et à une solitude extrême, elle décide d’aller voir un psychanalyste pour une prescription urgente de somnifères. Mystérieusement, l’homme semble tendrement ému et fasciné par la jeune femme.
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Les deux échangent alors au cours de séances répétées où il lui dévoile son obsession pour le Croc-Blanc de Jack London, dont il lui lit certains passages, un mouchoir collé au nez par l’émotion, ce dont le film s’amuse. Avec le chien-loup du roman, l’héroïne de Fremont partage une trajectoire : la découverte de la tendresse.
Un jour, le patron de la fabrique de gâteaux lui confie la rédaction des messages et des prédictions qu’ils contiennent, ces courtes notes qui sont autant de pistes de questionnement distribuées dans les restaurants de la ville. Des petits poèmes qui doivent trouver le juste milieu, selon les directives qu’on lui confie : ni trop positifs, ni trop négatifs, ni trop didactiques, ni trop lyriques. C’est cette juste mesure que Babak Jalali recherche par l’économie de sa mise en scène et de sa direction de comédien·nes.
La jeune femme décide alors d’y glisser un message détonnant. C’est moins une bouteille jetée à la mer qu’un grain de sable inséré pour dérégler un système policé. Avec ce geste perturbateur, elle cherche à renverser une méthode implacable, à la manière des cookies fabriqués et programmés à la chaîne dans de très gros plans qui ouvrent le film… Et, en tant que réfugiée, à trouver sa place. Entourée d’hommes plus âgés (dont ce superbe personnage secondaire, un restaurateur qui passe son temps à regarder des soaps à la télévision et la questionne sur sa solitude), elle est aussi une femme en quête de son indépendance.
Filmée en 4/3 et en noir blanc, Donya est souvent isolée et saisie dans des cadres qui coupent l’environnement. Fremont parvient alors peu à peu, jusqu’à son dernier tiers renversant de beauté, à trouver un équilibre à la croisée des chemins entre Aki Kaurismäki et les premiers Jim Jarmusch. La mélancolie infusée y est jumelée d’une volonté positive : être paumée n’est pas si grave, ou en tout cas pas une fatalité. Le chemin du film, des lits d’insomnie jusqu’à une station-service, est comme un lent glissement vers le ciel. Vers le jour, tout simplement.
Fremont de Babak Jalali, avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Gregg Turkington (É.-U., 2023, 1 h 31). En salle le 6 décembre.
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