Rescapé, voire miraculé, Daniel Darc récidive avec « Amours suprêmes », où cette tête brûlée découvre pour la première fois une forme d’apaisement, mais pas la langue de bois.
Alain Bashung est l’un des invités surprises du nouvel album de Daniel Darc, et ce n’est pas véritablement une surprise. Sur le divin morceau L.U.V., les deux derniers rockeurs français encore en ville s’amusent à culbuter quelques vaillants clichés sur la poudre et autres inhalations sulfureuses. « Pour le duo avec Bashung, j’ai demandé un micro et un rythme métronomique à Frédéric et j’ai lu mon texte. Il a trouvé un refrain à la guitare qui m’a d’abord fait chier mais, maintenant, je l’aime bien. Pour moi, Bashung est le meilleur chanteur français. C’est un mythe. Sur le morceau, il fait un peu le tom basse, grave et viril, et moi la cymbale, avec un côté petit garçon. J’ai choisi l’anglais car on peut exprimer des choses crues qu’on n’aurait pas pu dire en français. Par exemple : “J’arrête la dope sans rien”, “Je suis en manque”. En même temps, c’était aussi un truc fun parce que ce sont des clichés rock mis bout à bout. Je suis moi-même conscient – et plutôt fier – d’être un cliché. »
En 1980, Gaby Oh ! Gaby et Cherchez le garçon se tiraient la bourre au hit-parade, laissant planer sur les ondes l’ombre calcinée de Gene Vincent secouée par les spasmes synthétiques de la new-wave. De ce monde englouti, Bashung et Darc sont les beaux survivants, ou les derniers zombies. Ils pourraient réciter la Bible (ils l’ont d’ailleurs fait), des aphorismes de Jean-Pierre Raffarin ou le bottin du Maine-et-Loire, on resterait suspendus à leurs lèvres : privilège des incandescents quand le rock français demeure une vaste indécence.
Alors oui, disons-le, Amours suprêmes est un album moins foudroyant que son prédécesseur, Crève cœur, dont la splendeur virginale révéla tardivement l’ancien chanteur cabossé de Taxi Girl au plus grand nombre, sous la houlette du compositeur et ami Frédéric Lo. « Pour la première fois depuis longtemps, je savais que je pourrais faire un prochain album. C’est tout ce qui importait. La seule chose qui a changé avec Crève cœur, c’est qu’auparavant je voulais composer le plus beau disque de tous les temps, ce genre de trucs à la con. Maintenant, je suis conscient que ce n’est pas le cas, mais j’y travaille. De toute façon, le plus beau disque de tous les temps, c’est Elvis qui l’a fait avec les Sun Sessions. »
Plus d’apaisement, plus de moyens, moins d’urgence, mais une grande latitude émotionnelle émanent de ce bel album à fleur de derme qui romance encore et toujours la même histoire du loser magnifique, avec en exergue cet aphorisme glaçant : “Quand je mourrai, j’irai au paradis/C’est en enfer que j’ai passé ma vie.” Si, des Remords à La vie est mortelle ou à Serais-je perdu, les obsessions existentielles de Darc font vaciller le disque en bordure du crépuscule, les ritournelles de Lo lui confèrent une mélancolie étrange, quasi heureuse. L’autre invité surprise (hormis un fantomatique Robert Wyatt qui pose son souffle irréel aux confins du sublime Ça ne sert à rien et le pianiste d’Elvis Costello, Steve Nieve, sur certains morceaux) n’est autre que John Coltrane, avec son Love Supreme en modèle d’une liberté inaccessible par la chanson.