Trân Anh Hùng nous sert une célébration ampoulée du mythe de la gastronomie française, où l’esthétique food porn se croise à un conservatisme rance.
En septembre dernier, le milieu du cinéma s’étonnait de la sélection de La Passion de Dodin Bouffant au détriment d’Anatomie d’une chute pour représenter la France dans la course aux Oscars. L’effet de surprise s’estompe à la découverte du film de Trân Anh Hùng, tant celui-ci s’inscrit dans la lignée d’anciens porte-étendards nationaux, comme Les Choristes ou Amélie Poulain, qui tiennent peut-être moins du cinéma que de l’imagerie d’Épinal.
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Pétrifié dans un imaginaire pittoresque, ce film-vignette suit la relation entre le chef Dodin (Benoît Magimel) et sa fidèle cuisinière Eugénie (Juliette Binoche) dans une célébration ampoulée du mythe de la gastronomie française. Si la lumière et la composition des cadres visent explicitement un horizon pictural, cette esthétique boursouflée donne surtout l’impression de voir un film plongé dans le formol que le cinéaste tente artificiellement de dynamiser par d’incessants mouvements de caméra.
Sensualisme affecté
Il faut toutefois reconnaître que Dodin Bouffant est plus déconcertant et moins académique qu’il n’y paraît. Quelques lignes narratives sont laborieusement ébauchées (ici, la rivalité avec un autre cuisinier, là, la transmission à une jeune apprentie), mais le film refuse de se fondre dans le programme attendu et fait le pari, assez radical, de servir de longues séquences culinaires presque muettes. Le parti-pris peut d’abord enthousiasmer, tant la cuisine ouvre en principe un champ d’expérimentations formelles assez inouï : on se souvient que la cuisson de pommes de terre suffisait à Chantal Akerman à créer un suspense redoutable ou que Tsui Hark transfigurait les gestes précis des cuisiniers en un véritable film de kung-fu dans Le Festin chinois.
Malheureusement, la mise en scène se recroqueville ici sur l’esthétique contemporaine la plus usuelle et consensuelle, celle du food porn, qui vient exalter la matérialité de chaque aliment dans un sensualisme affecté, comme pour provoquer chez les spectateurs.trices une réaction physique immédiate. Invraisemblablement longues, ces séquences se révèlent finalement incapables de déplier la dramaturgie propre au processus de création culinaire.
Un feuilleté de lieux communs
De cet hymne à la sensualité découle un érotisme convenu que vient synthétiser l’un des raccords les plus inélégants de l’année, où la forme d’une poire se trouve associée aux courbes du corps dénudé d’Eugénie. En plus d’être désuet, ce parallélisme rejoue un partage ancestral des genres et des valeurs. Être purement charnel, Eugénie reste cloîtrée dans sa cuisine au plus près de la matière, tandis que pour Dodin le plaisir gustatif acquiert une valeur spirituelle aux côtés de ses comparses masculins. Magimel oblige, les monologues précieux de Dodin donnent parfois l’impression de retrouver le haut-commissaire De Roller de Pacifiction, lancé dans des soliloques improvisés pour se faire critique culinaire le temps d’un plan (“C’est une belle rencontre entre la terre et la mer qui chante la beauté du territoire” dit-il ému par la dégustation d’un plat…).
Contrairement au film de Serra, la mise en scène emphatique n’invite jamais à une prise de distance vis-à-vis de son personnage ; elle célèbre plutôt la vieille figure du génie, laissant hors-champ toute critique des hiérarchies sociales et économiques sur lesquelles elle repose. Ce feuilleté de lieux communs finit par laisser un arrière-goût amer.
La Passion de Dodin Bouffant de Trần Anh Hùng, en salle le 8 novembre
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