Intenses et chaotiques, les adolescents de These New Puritans sont l’une des anomalies les plus passionnantes du circuit anglais, à la fois anguleux et funkys. Après le fluo : la lumière noire.
Le label Creation n’a jamais été un abri pour créationnistes (on doute même qu’Oasis connaisse le concept) et la maison de disque Virgin, pour avoir commercialisé les disques des Spice Girls ou Boy George, est tout sauf un refuge de pucelles. Mais quand les Anglais de These New Puritans ont fondé leur propre label, ils ne pouvaient pas trouver nom mieux adapté et informatif qu’Angular Records.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Car anguleux, leur rock l’est, depuis des premières maquettes incandescentes qui, sur Myspace, ont commencé à affoler un public anglais adolescent, fluorescent et pâle. C’est ensuite fatalement la scène, ce test impitoyable des énergies et dynamiques savamment triturées en studio, qui est venue confirmer tout ce que laissait entendre ces premières balises : ce groupe jouait avec le feu. Pas avec les bâtonnets fluos, innocents et fêtards, qu’agitent comme pour un Top Of The Pops de boum ado les fans méticuleux des Klaxons ou Hadouken. Non : les mixtes These New Puritans ont beau constituer l’une des plus étonnantes machines à danser de leur époque, leur groove reste martial, cassant, patraque, sans joie. De la musique de garçons (et fille) en colère, punk viscéralement dans son âme amochée, mais qui aurait décidé de présenter les guitares obliques, stridentes de Sonic Youth ou Fugazi à des rythmiques qui parlent aux fesses, aux hanches.
De la musique pour accompagner la bière triste, la danse instable et le pogo furieux, histoire de transpirer toute la banalité de la semaine. De The Fall à Art Brut, on a déjà connu ces chroniqueurs acariâtres de la petite vie blanche, vociférant leur mal-vivre sur des guitares hirsutes, ulcérés et pourtant goguenards. C’est l’Angleterre, c’est la crise, un vieux couple qui se perd et se retrouve, au hasard de l’économie et des allocations. Depuis que Tony Blair avait affirmé, en pleine brit-pop ramenarde, que “nous appartenons tous désormais à la classe moyenne”, on aurait presque tiré un trait sur ce rock des sous-classes, du sous-monde, de la sous-culture. Pas un hasard si These New Puritans revendique une influence aussi peu orthodoxe que Doctor Feelgood, l’un des sommets, justement, de ce rock prolétaire : le groupe a beau avoir joué pour Hedi Slimane chez Dior, c’est aux jeunes teigneux morveux de l’after-punk, de Joy Division (airs maussades, costumes étriqués, guitares étranglées) à The Fall, que l’on pense ici. Pour l’attitude plus que pour le son, pour cette façon belliqueuse de délimiter son terrain, de mélanger les cultures et leur absence, art school et fish & chips, de parler de This Heat et de football, du Wu Tang Clan et des récents Scott Walker, de ce que l’on est né et de ce que l’on se rêve. C’est ce carambolage de musiques, de genres et d’époques, dédaigneux du bon goût officiel et des manières élégantes, que l’on entend chez These New Puritans. Un son à peine coiffé, lubrifié du bout des doigts par un expert en déviances soniques, Gareth Jones qui, pour avoir travaillé avec Einsturzende Neubauten, les Liars ou Wire, en connaît un rayon sur les possibilités de terroriser un danseur, de transformer le dancefloor en chambre froide.
A son corps défendant, le corps offert, Jack Barnett reste, sur scène, l’un des plus étonnants entertainers du circuit anglais, celui aurait dû obtenir le rôle de Ian Curtis dans Control, pour ses contorsions, regards effarants, fulgurances incontrôlées et incantations caverneuses (mais de qui parle-t-il dans ces chansons indéchiffrables ?). C’est lui qui, sur un premier album dont la brièveté épargne de justesse votre système nerveux de graves dérèglements, offre à ce groupe sa sidérante puissance, sa miraculeuse suavité – alors que les guitares sont malingres, le chant affolé et les rythmiques génialement désordonnées. C’est lui qui offre sang et os à ce chaos, qui confère à ce rock intense et affolé un semblant de normalité, qui rend vivable un monde pourtant acide et toxique. “J’aime inclure des secrets et des codes dans nos chansons, affirme cet obsédé de numérologie. Notre disque est comme un puzzle.” Des milliers de pièces, toutes noires, aux contours tranchant : l’hiver sera gai.
{"type":"Banniere-Basse"}