Marco Bellocchio redonne vie, à travers ce documentaire familial, à son frère jumeau Camillo, suicidé à l’âge 29 ans. Poignant de simplicité.
Le grand cinéaste italien Marco Bellocchio – dont le dernier film de fiction, L’Enlèvement, présenté en compétition à Cannes en mai dernier, sort cette semaine – est né le 9 novembre 1939 à Bobbio, province de Plaisance, dans la région d’Émilie-Romagne, en Italie. Il a un frère jumeau hétérozygote, Camillo, deux sœurs et deux autres frères. En 1968, à 29 ans, Camillo met fin à ses jours (même si l’une de ses sœurs, très touchante, préfère croire qu’il a eu un accident).
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Marx peut attendre, qui sort concomitamment, mais qui a été tourné il y a deux ans, raconte ce frère jumeau qui n’a pas vécu sa vie, et qui, en réalité, n’a jamais disparu de l’esprit de la fratrie, comme souvent. Marco Bellocchio a beaucoup filmé la famille. À 80 ans, il met, lui le cinéaste qui a beaucoup provoqué les institutions de son pays, les pieds dans un plat où il ne tient pas forcément le beau rôle, il balaye devant sa porte.
Une histoire rétro et introspective
Non qu’il soit coupable au sens propre du mot. Mais au fil des discussions avec ses frères et sœurs, mais aussi avec ses enfants, petits-enfants, des proches et des amis de Camillo, avec un prêtre ou un psychiatre, Bellocchio reconstitue des morceaux du passé et découvre, souvent à son propre étonnement, tout ce qu’il avait pu refouler de cette histoire. Il met peu à peu le doigt sur le déni dans lequel il a vécu, au fond, à l’époque du suicide de son jumeau et longtemps après.
Une scène, par exemple, le montre en train d’expliquer à sa fille, qui pose soudain un regard grave sur lui, que Camillo lui avait une écrit une lettre, qu’il avait oubliée depuis, mais que son frère aîné, Piergiorgio Bellocchio, critique littéraire et écrivain disparu depuis le tournage du film (en 2022), lui a fait redécouvrir, où au fond, s’il avait été un peu attentif, lui Marco aurait pu ou dû comprendre, dans cette famille très marquée par une éducation catholique, combien Camillo allait mal, comme on dit.
Mais la beauté et la profondeur de Marx peut attendre (une phrase que Camillo avait dite à Marco – tous deux étaient des militants d’extrême-gauche) n’a rien à voir avec un apitoiement ou une autocritique hystérique (ce n’est pas le genre de Bellocchio, homme posé, pensif, que la psychanalyse a dégagé de ces débordements de passion et de la confession repentante).
Un hommage pudique
On comprend aussi, sans que cela soit dit, que le jeune Marco, au moment de la mort de Camillo, était devenu, dès son premier film, Les Poings dans les poches, en 1965, qui met d’ailleurs en scène un fils en colère (joué par Lou Castel), un cinéaste connu, tendance, et qu’il travaillait beaucoup. Bref, qu’il n’a pas vu la souffrance et la solitude de son jumeau, qui, lui, avait beaucoup de mal avec la vie.
La beauté de Marx peut attendre tient à la dignité, la pudeur de ce portrait, au respect que manifestent les uns envers les autres les membres de cette famille, tous nés dans les années 1930-1940 dans une petite ville de province italienne. Aux nombreux extraits choisis par Bellocchio dans son œuvre, où la figure d’un frère, parfois fou, est omniprésente. À l’absence totale d’emphase, de lyrisme (qu’on trouve souvent bien au contraire dans nombre de fictions de Bellocchio, comme L’Enlèvement, justement).
Ce n’est pas un acte de contrition, ni même peut-être une tentative de travail de deuil, mais ce qu’on appelle un tombeau, un poème modeste écrit en hommage à un défunt, laïque et cinématographique à un être aimé, à ce double dont le destin fut loin du vôtre et à qui un artiste, l’âge venant, décide de redonner une existence.
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